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Philippe LIER – Directeur du Centre Spatial Guyanais (CSG) – CNES

par | Juil 25, 2024 | Interviews / Podcasts, Retrouvez toutes nos actualités | 0 commentaires

« Croyez en vos rêves ! Il y a plein d’exemples de réussites dans la société.»

Philippe Lier, Directeur du Centre Spatial Guyanais(CSG). Diplômé de l’École Supérieure d’Électricité (SUPELEC). Il a intégré le CNES, à Toulouse, en 1990 comme ingénieur de sûreté de fonctionnement. Il a ensuite rejoint les équipes de qualité image du CNES et a longtemps travaillé sur différents programmes. Le 1er décembre 2023, il succède à Marie-Anne Clair, 1ère femme française à avoir été Directrice du CSG, et devient Directeur du Centre Spatial Guyanais.
 

« Les challenges du Centre Spatial Guyanais sont très clairs. Je peux dire que la feuille de route se décompose en trois axes : le premier axe, on vient d’en parler, c’est la remontée en cadence des lanceurs institutionnels, c’est-à-dire d’Ariane 6 et de Vega. On devrait relancer un Vega C dès la fin de cette année (c’est prévu fin novembre) et, ensuite, c’est pareil, la cadence va remonter pour les Vega  puisque, l’an prochain, on prévoit aussi de faire en plus d’Ariane 6, le lancement de 4 Vega C et puis 6 l’année d’après. Donc ça, c’est ce que j’appelle la remontée en cadence des lanceurs institutionnels, qui va nous amener rapidement à avoir peut-être 15 à 16 lancements de type Ariane 6 ou Vega à gérer sur le CSG. Ça, c’est la colonne vertébrale de l’activité du CSG, ces lanceurs lourds institutionnels et leur gestion pour assurer leur lancement dans les bonnes conditions. C’est le premier axe, et c’est l’axe fondamental. »

L’interview de Philippe LIER, Directeur du Centre Spatial Guyanais (CSG) :

En vidéo sur Youtube:

 

En podcast :

 

 

Parcours

Je m’appelle Philippe Lier. Je suis actuellement Directeur du Centre Spatial Guyanais et, avant d’arriver au CSG, j’ai fait toute ma carrière au CNES à Toulouse. Mon parcours d’étudiant est assez classique. J’étais plutôt bon élève, assez sérieux et, après le bac, j’ai enchaîné avec des classes préparatoires scientifiques et je suis entré dans une école d’ingénieur d’électronique (SUPÉLEC) à Paris. Mon parcours professionnel est très simple, puisque j’ai toujours eu ce souhait de travailler dans le domaine spatial et, finalement, je suis entré au CNES dès la fin de mes études, en 1990. J’ai fait toute ma carrière au CNES. D’abord à Toulouse, où j’ai occupé plein de fonctions différentes : des fonctions techniques, des fonctions de management et beaucoup de fonctions projets, avant de rejoindre le CSG en début 2023 et de tenter une nouvelle aventure dans le domaine de la base spatiale et des lanceurs.

 

Missions phares au sein du CNES

 

Les participations aux projets au sein du CNES sont vraiment une aventure exceptionnelle.  J’ai eu la chance de participer à plusieurs projets différents. J’aurais tendance à citer un projet particulier qui s’appelait PARASOL, lancé en 2004, qui était un micro satellite d’observation de l’atmosphère. Pourquoi celui-là ?  En particulier parce que c’était un projet où l’on était une petite équipe et l’on faisait un satellite qui n’était pas du tout ambitieux, très simple, fait avec de la récupération. Mais on a vraiment tout fait nous-mêmes. C’est sûr que c’est une satisfaction particulière quand le satellite arrive en orbite,  que vous en connaissez les moindres détails,  que tout a été conçu et intégré avec vos équipes. C’est vraiment un moment particulier, même si c’était un tout petit satellite, pas du tout ambitieux technologiquement.

Ensuite, les autres missions avant Ariane 6 (puisque Ariane 6, c’est vraiment tout récent) étaient également des missions intéressantes, chaque mission est quelque chose d’unique à vivre. Mais les autres missions qui m’ont le plus marqué, ce sont les missions martiennes avec le JPL (Jet Propulsion Laboratory), avec la NASA.

Pourquoi ?

Eh bien, c’est vrai que quand vous faites un instrument ou une partie d’instruments qui va sur Mars, il y a tout de suite une complexité incroyable, beaucoup de choses que vous ne maîtrisez pas. Parce qu’une fois que ça arrive sur Mars, c’est tellement loin que, finalement, tout doit être automatisé et réglé finement. Le travail avec le JPL là-dessus est vraiment passionnant parce qu’ils ont une expérience extraordinaire et on retrouve aussi ces petites excitations incroyables d’avoir quelque chose qui va fonctionner ou pas sur Mars, à distance. Il faut savoir que, quand vous recevez la télémesure de Mars sur un instrument, par exemple pour savoir s’il marche ou pas, en fait, elle a été émise 40 minutes avant à cause du temps de trajet; donc il y a toujours quelque chose de fascinant pour moi, en tout cas dans les missions martiennes.

 

Principaux objectifs du premier lancement Ariane 6

Le mardi 9 juillet 2024, on a pu vivre une très belle réussite du CNES et de l’ESA car le lanceur Ariane 6 a effectué son premier lancement au sein du Centre Spatial Guyanais.

Ce premier lancement, on l’a appelé “vol inaugural”. Ce n’était pas un vol de test puisque des tests, il y en avait eu énormément de réalisés avant ce lancement. C’était vraiment un vol destiné à finaliser, à montrer que tout marchait, que le système était maîtrisé et qu’on allait pouvoir passer ensuite à des lancements commerciaux; donc ce n’était pas un lancement commercial. Il y avait un certain nombre de satellites, mais ce sont essentiellement des petits satellites qu’on appelle des “CubeSats” Dans ces CubeSats, on parle en unité : une unité correspond à un litre, c’est 10 cm x 10 cm x 10 cm. Puis on peut avoir des CubeSats d’une unité, de deux unités, de trois unités… Il y avait une dizaine de petits satellites de ce type-là sur la charge utile, avec ce qu’on appelle aussi des “dispensers”, c’est-à-dire des espèces de tubes qui éjectent ces CubeSats avec un ressort. Et ça, c’est très important en termes de validation, parce que ces dispensers vont également être utilisés après pour déployer des constellations.

Donc le vol inaugural et l’aspect charge utile étaient bien sûr importants, mais ce n’était pas le point fondamental. Le point fondamental, c’était de montrer que toute la séquence avec les rallumages, avec toutes les séparations, etc. était maîtrisée.

Aujourd’hui, la démonstration a été faite malgré l’échec de la désorbitation du dernier étage. Mais finalement, cela ne faisait pas partie de la mission nominale; donc tout le reste a été réalisé avec une grande maîtrise. C’est donc un très grand succès pour l’ESA,  pour le CNES, pour l’Europe et puis les laboratoires, parce qu’ils ont favorisé le développement de ces CubeSats.

 

Les challenges du Centre Spatial Guyanais

 

Les challenges du Centre Spatial Guyanais sont très clairs. Je peux dire que la feuille de route se décompose en trois axes .

Le premier axe

On vient d’en parler, c’est la remontée en cadence des lanceurs institutionnels, c’est-à-dire d’Ariane 6 et de Vega. On devrait relancer un Vega C dès la fin de cette année (c’est prévu fin novembre) et, ensuite, c’est pareil, la cadence va remonter pour les Vega  puisque, l’an prochain, on prévoit aussi de faire en plus d’Ariane 6, le lancement de 4 Vega C et puis 6 l’année d’après. Donc ça, c’est ce que j’appelle la remontée en cadence des lanceurs institutionnels, qui va nous amener rapidement à avoir peut-être 15 à 16 lancements de type Ariane 6 ou Vega à gérer sur le CSG. Ça, c’est la colonne vertébrale de l’activité du CSG, ces lanceurs lourds institutionnels et leur gestion pour assurer leur lancement dans les bonnes conditions. C’est le premier axe, et c’est l’axe fondamental.

Le deuxième axe

C’est l’accueil de nouveaux entrants. Ce qu’on entend par ‘nouveaux entrants’,  ce sont des sociétés qui sont plutôt à fonds privés, donc qui sont financées par des investisseurs privés et qui ont un business model basé sur des lancements de petits satellites inférieurs à 1,5 tonne. Et donc, ils prévoient des lancements assez nombreux à coût modéré et avec un business plan qui est complètement privé.

Le CSG est en train de se dimensionner, de réaliser des pas de tir, qui sont sans commune mesure avec un pas de tir d’Ariane 6. Bien sûr, c’est beaucoup plus simple et ce sont des pas de tir qui permettent d’accueillir ces micro-lanceurs et ces nouveaux acteurs dans de bonnes conditions. On leur offre l’infrastructure, comme un aéroport offre l’infrastructure à des compagnies aériennes différentes et ça, c’est ce qu’on appelle le modèle aéroport, le Space Port,  et de dire “bah oui, il y aura des grosses compagnies aériennes qui seront accueillies sur la base et puis d’autres, des plus petites, avec des business modèles différents, et ces petites « paieront » des taxes d’aéroport pour bénéficier de la logistique du CSG”.

Puis le troisième axe

C’est un grand plan de modernisation de la base. On a donc un certain nombre de budgets, à la fois nationaux et européens, pour moderniser la base. Qu’est-ce que cela veut dire, moderniser la base ?  Cela veut dire qu’il faut moderniser un certain nombre d’infrastructures. Vous savez, une base représente de grosses infrastructures,  et une modernisation de nos outils logiciels.

Pourquoi ?

Si on doit avoir des cadences de lancement bien supérieures à ce que l’on fait aujourd’hui, il faut que l’on soit capable de se reconfigurer très facilement d’un lanceur à l’autre avec des outils que les opérateurs sachent « manipuler simplement ». Il s’agit pas d’avoir un set d’outils pour une Ariane 6 et puis, pour passer sur un autre lanceur, devoir tout changer. Le but est donc de pouvoir reconfigurer assez facilement, avec des outils performants. Dans ce chantier de modernisation, on a aussi la transition énergétique de la base. On a un gros programme d’accompagnement de la transition énergétique de la base car la base est un gros consommateur d’énergie, d’électricité.  Ce programme concerne à la fois les installations mais aussi les lanceurs parce que, vous savez qu’on produit les carburants des lanceurs sur place, ce qui est très consommateur.

Et là, on a plusieurs projets pour produire de l’électricité verte, donc des champs photovoltaïques, de la biomasse, réduire nos consommations énergétiques et même produire de l’hydrogène sur place par électrolyse de l’eau. Tous ces plans-là de transition énergétique vont accompagner le développement de la base pour une base plus verte et plus écologique. Plus économique aussi, parce qu’effectivement, si on arrive à produire un certain nombre de choses à partir d’électricité solaire par exemple, à la fin, on devrait être gagnant aussi sur un plan économique.

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Conseils à la nouvelle génération de leaders et souveraineté

Quels conseils pourriez-vous transmettre à la nouvelle génération de leaders du spatial afin de préserver la spécificité du spatial européen ? Qui implique nécessairement la question de la préservation de la souveraineté avec les particularités françaises dont le général de Gaulle énonça en 1961: « La grandeur de la France exige sa présence dans l’espace.» Propos qui participeront à transmettre les directives pour le développement de la famille des lanceurs Ariane.

Cette notion de souveraineté continue d’exister. Effectivement, elle a été énoncée par le général de Gaulle, il y a 60 ans. En fait, la déclaration du général de Gaulle visant à créer le Centre Spatial Guyanais date de 1964, donc il y a pile 60 ans. Il y avait clairement une vision et, je crois que cette vision se prolonge aujourd’hui, elle n’a jamais été démentie : si on veut avoir un rôle international, si on ne veut pas être totalement dépendant, la présence dans l’espace est nécessaire. Et ça, c’est le premier volet. Vous voyez qu’aujourd’hui, finalement, on a énormément de choses qui dépendent de l’activité spatiale, que cela soit la navigation, Galileo, la météo, la surveillance de la planète, un certain nombre d’activités de défense, de surveillance de nos partenaires ou autres.

On est, peut-être sans vraiment s’en rendre compte, extrêmement dépendant de l’activité spatiale et il n’y a pas de grandes nations qui n’aient pas une présence forte dans l’espace. Cette présence forte dans l’espace, c’est faire des satellites, mais c’est aussi savoir y accéder. Parce que si vous n’avez pas d’accès à l’espace, vous êtes totalement dépendant d’autres qui peuvent effectivement dire un jour “maintenant, on vous ferme l’accès à l’espace” et donc, vous perdez toutes vos ressources dans ce domaine-là.

Ce n’est pas qu’institutionnel, c’est également économique. On voit aussi apparaître maintenant ces fameuses constellations pour les télécommunications, etc.

On peut donc imaginer qu’on pourrait rentrer dans des débats avec d’autres si on n’avait pas de capacité de lancement, perdre l’autonomie (même économique !) pour finalement accéder à ces technologies. Donc moi, mais c’est un avis personnel, je pense que l’accès à l’espace reste complètement d’actualité en termes de souveraineté économique, technologique, nationale et européenne et donc, aujourd’hui, le retour en vol (et je pense que tous les acteurs l’ont souligné), le retour d’un lanceur lourd comme Ariane 6 dans le paysage est un élément majeur pour la souveraineté française et européenne.

 

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Philippe LIER – Directeur du Centre Spatial Guyanais (CSG) – CNES