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Charles Elachi, professeur au California Institute of Technology, Directeur du JPL de 2001 à 2016

par | Juin 2, 2024 | Interviews / Podcasts, Retrouvez toutes nos actualités | 0 commentaires

« Croyez en vos rêves ! Il y a plein d’exemples de réussites dans la société.»

 

Dr Charles Elachi, d’origine libanaise, est professeur au California Institute of Technology (Caltech), et a été directeur du Jet Propulsion Laboratory  de 2001 à 2016, prestigieux centre de la NASA situé en Californie. La spécificité du Dr Charles Elachi, en plus de ses grandes connaissances, est sa participation importante au développement de projets aérospatiaux en partenariat avec la France, dont il a une fine connaissance des élites scientifiques. Dr Charles Elachi est un alumni de l’École Polytechnique Universitaire de Grenoble-Alpes (Polytech Grenoble).

« Durant cette période, on a lancé environ 25 missions planétaires et terrestres. Toutes les missions étaient vraiment très intéressantes, passionnantes. Mais la partie de ces missions qui était la plus critique, la plus complexe, c’était la phase d’atterrissage lors des différentes missions sur la planète Mars avec les rovers Spirit, Opportunity, Curiosity et enfin Perseverance. Car nous avions travaillé pendant une dizaine d’années, et la réussite dépendait des 5 dernières minutes, lors de la pénétration du rover dans l’atmosphère martienne. Ce sont des missions qui ont une valeur très scientifique. Dans toutes ces missions, il y avait des participations de la France avec le CNES. On avait des instruments français qui étaient présents sur ces missions. Exemples d’instruments majeurs français présents dans le rover Curiosity : SAM et ChemCam . « Ces deux instruments ont permis en cinq ans d’exploitation ininterrompue de découvrir des anciennes rivières, un delta qui remplissait un lac… Il a détecté des veines minérales, témoignant d’une activité aqueuse souterraine. Il a également prolongé et catalogué des sources de sédiments, identifiant ainsi toutes les caractéristiques d’une planète habitable.» IRAP»

 

L’interview du Dr Charles Elachi :

En vidéo sur Youtube:

En podcast :

 

Parcours

Je suis d’origine libanaise et j’ai fait mes études au Liban jusqu’au baccalauréat. Ensuite, je suis parti en France à l’Institut Polytech de Grenoble pour passer mon diplôme d’ingénieur. J’y suis resté 4 ans, de 1964 à 1968, durant les Jeux olympiques d’hiver, à  Grenoble. Vous vous souvenez certainement de Jean-Claude Killy, le grand skieur français, triple champion olympique de ski alpin à Grenoble.

Ensuite, je suis venu aux États-Unis pour faire mon doctorat, au California Institute of Technology (Caltech). Le sujet de ma thèse, en physique appliquée, portait sur « La propagation des ondes électromagnétiques dans des milieux périodiques ». C’était une thèse complètement théorique que j’ai faite en Californie, avant de commencer à travailler au Jet Propulsion Laboratory (JPL).

Les spécificités du California Institute of Technology, le Caltech

 Il s’agit d’une université privée, qui n’est pas financée par le gouvernement américain. C’est une petite université, composée de plus de 2000 étudiants: environ 1000 qui étudient l’ingénierie, de la biologie…en Bachelor soit l’équivalent de la licence en France c’est-à-dire 3 années après le bac, environ 1000 étudiants qui passent le doctorat et enfin plus de 300 professeurs. C’est une université très productive parce qu’au Caltech, comme en témoigne son histoire, ces dernières décennies il y a eu 47 prix Nobel qui étaient soit des étudiants, soit des professeurs ou bien des alumni du Caltech. On y fait plus spécifiquement des développements et de l’interdisciplinarité sur les disciplines scientifiques comme la biologie, l’astronomie, le génie électrique et dans les domaines du spatial parce qu’il y a une collaboration très étroite avec le JPL (Jet Propulsion Laboratory) qui a été fondé par le Caltech. Avant de devenir un centre de la NASA c’était un centre du Caltech. Il y a pas mal d’interaction entre le JPL et le Caltech. Pour vous donner une idée au JPL il y a presque 7 000 ingénieurs et scientifiques, c’est un grand laboratoire et il y a une collaboration très étroite entre les étudiants qui travaillent un jour par semaine au JPL, et les chercheurs qui sont aussi enseignants au Caltech.

 

Trois grands projets

Durant cette période, on a lancé environ 25 missions planétaires et terrestres. Toutes les missions étaient vraiment très intéressantes, passionnantes. Mais la partie de ces missions qui était la plus critique, la plus complexe, c’était la phase d’atterrissage lors des différentes missions sur la planète Mars avec les rovers Spirit, Opportunity et puis Curiosity. Car nous avions travaillé pendant une dizaine d’années, et la réussite dépendait des 5 dernières minutes, lors de la pénétration du rover dans l’atmosphère martienne.

En tenant compte du fait que la communication entre la Terre et Mars mette une dizaine de minutes, cela signifie que notre temps de réactivité est différé. Ce sont des missions qui ont une valeur très scientifique. Dans toutes ces missions, il y avait des participations de la France avec le CNES. On avait des instruments français qui étaient présents sur ces missions. Exemples d’instruments majeurs français présents dans le rover Curiosity : SAM et ChemCam . « Ces deux instruments ont permis en cinq ans d’exploitation ininterrompue de découvrir des anciennes rivières, un delta qui remplissait un lac… Il a détecté des veines minérales, témoignant d’une activité aqueuse souterraine. Il a également prolongé et catalogué des sources de sédiments, identifiant ainsi toutes les caractéristiques d’une planète habitable.» IRAP.

Une autre mission très importante, c’est lorsque l’on a intégré un petit hélicoptère, Ingenuity, sur une des missions concernant l’atterrissage sur Mars (mission Persévérance). Une première dans l’histoire de l’aérospatiale planétaire. Cela a ouvert un nouveau domaine d’exploration en utilisant des objets volants au lieu de n’utiliser que des rovers sur la surface. Nous n’étions pas sûrs que cela allait bien fonctionner, c’était vraiment une énorme prise de risques pour démontrer et affirmer nos capacités technologiques.

L’autre mission qui était très importante, c’était la sonde Cassini-Huygens, une mission vers Saturne, en partenariat avec The European Space Agency (ESA). Le but était d’explorer la planète Saturne et tout ses satellites, particulièrement l’exploration de Titan, car il s’agit d’un satellite qui est plus grand que notre Lune. Il possède un diamètre de 5 149.5 km, couvert de nuages. Dans cette sonde, on a intégré un radar dont j’étais le principal responsable. Cela nous a permis de voir que, sur Titan, il y a des lacs, des rivières, exactement comme sur la Terre, sauf que ces rivières sont composées de méthane.

Halim Bennadja :

C’est l’une des particularités des deux domaines scientifiques, c’est-à-dire la biologie, le vivant et l’astronomie. Le scientifique sur terre, peut prendre une cellule et l’analyser dans son laboratoire alors que l’astronome ne peut pas prendre une étoile ou un morceau d’étoile et effectuer des expériences dans son laboratoire. Si bien qu’on est dans de grands défis, qu’on essaie de faire cet exploit c’est-à-dire d’observer, de regarder et d’expérimenter mais in situ en se déplaçant à des distances extrêmes, d’aller sur un satellite pour observer, d’aller sur une comète pour récolter des données à la suite desquels découlerons de riches réflexions, très intéressantes.

En d’autres termes, nous vivons une sorte de rupture entre les connaissances traditionnelles et les connaissances modernes.

Pour comprendre les efforts menés par la France, le CNES, pour la préservation des partenariats avec la NASA, nous vous recommandons l’écoute de l’interview de Nicolas Maubert :

Nicolas Maubert, Représentant du CNES aux États-Unis

Une rencontre particulière

Mes professeurs au Liban, à Grenoble puis ici à Caltech étaient tous très intéressants, vraiment passionnants ! Ils avaient tous un point commun : ils ont fait de la science quelque chose de très intéressant ! Je me rappelle très bien, à Grenoble, un de mes professeurs, Louis Néel (1904-2000) qui avait reçu le prix Nobel durant la période où j’étais à Grenoble. Il était comme mon conseiller, mon advisor !

Il a fait de la physique quelque chose de très intéressant pour moi et il parlait notamment des explorations planétaires. C’est lui qui m’a donné l’envie de venir à  Caltech après mon doctorat, car je lui avais partagé mon intérêt pour les études spatiales et l’exploration spatiale. Alors il m’a dit que ce qui me conviendrait le mieux, ce serait une grande université, la California Institute of Technology (Caltech), parce qu’il y a une association entre l’université et le centre spatial de la NASA, le Jet Propulsion Laboratory. Ces deux institutions ne sont qu’à 5 km de distance. Cette proximité et collaboration étaient l’une des raisons de ma venue à Caltech.

 

 

 

 

Conseils à la nouvelle génération de leaders du JPL

Certains de vos employés ont mentionné votre leadership visionnaire qui a énormément aidé le JPL à réaliser certaines missions les plus passionnantes et innovantes. Quels conseils pourriez-vous donner à la nouvelle génération de leaders pour avoir autant d’impact que vous ?

Je vais dire la même chose que je dis à mes étudiants ici à Caltech.  Il y a  trois choses qui sont très importantes :

I) La première chose : tout est possible ! Si, vraiment, vous voulez faire quelque chose et si vous y travaillez, tout est possible !

II) La deuxième chose, il faut avoir de la passion pour ce que vous faites. Parce que lorsque vous allez passer la plupart de votre vie à travailler dans n’importe quel domaine, par exemple dans la musique, dans le domaine artistique ou bien en tant que scientifique, en tant qu’ingénieur,  dans n’importe quelle discipline, il faut avoir de la passion! Si vous n’avez pas de passion, vous devez changer et faire quelque chose d’autre !

III)  La troisième chose, c’est qu’il ne faut pas hésiter à prendre des risques. Parce que si vous allez faire de nouvelles découvertes, si vous allez faire quelque chose de nouveau, la plupart du temps, on n’est pas sûrs que cela va fonctionner. Par exemple, dans nos missions planétaires, on prend des risques tout le temps, mais on réfléchit longuement sur ces risques car on n’est pas 100 % sûrs que les choses vont marcher.

Ce sont mes trois recommandations aux jeunes  étudiants ici à Caltech : que tout est possible, qu’il faut avoir de la patience dans ce que vous faites et qu’il faut prendre un peu de risques dans votre travail. Si les choses ne marchent pas, ce n’est pas grave, vous apprenez, cela vous donne une expérience. Au JPL,  on a fait quelques missions sur Mars qui se sont soldées par un échec, mais on a appris de ces missions et cela nous a permis de comprendre et de faire quelque chose de meilleur.

 Nous vous recommandons l’écoute de quelques ingénieurs, de la nouvelle génération profondément active sur les projets aérospatiaux

 

 

L’importance de l’émergence de véritables scientifiques

Certains vont même dire que nos sociétés ne permettent plus ou du moins difficilement l’apparition de véritables théoriciens au sein de notre société dans la lignée d’Albert Einstein, d’Henri Poincaré, de Mohammed Abdus Salam, de Peter Higgs…Qu’en pensez-vous ? Quels conseils, réflexions pouvez-vous nous partager à ce sujet ?

 

Nota Bene: le physicien théoricien Mohammed Abdus Salam (1926-1996) crée en 1964, sous la direction du gouvernement italien, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), le Centre international Abdus Salam de physique théorique situé à Trieste en Italie (International Centre for Theoretical Physics, ICTP). L’une des missions de l’institut est de favoriser le développement d’études avancées et de la recherche en sciences physiques et mathématiques, en particulier dans le soutien de l’excellence dans les pays en développement.

 

C’est vrai. Ici, à Caltech, nous faisons un grand effort pour communiquer avec le public à propos de l’importance du domaine scientifique dans la vie de tous les gens. On a par exemple une série d’organisations, d’événements ouverts aux publics où l’on invite le public de la région et où l’on explique via des conférences scientifiques, mais spécifiquement adaptées au public, afin qu’il apprécie et prenne conscience de l’importance de la science.

Chaque semaine, je donne une lecture (conférence), je partage les connaissances dans les écoles, auprès du public, en général, sur le rôle de la science et de l’espace, comment cela participe au changement de notre vie.  Un exemple que j’aime bien transmettre : tout  le monde  possède un iPhone, un téléphone portable. Dans tous les iPhone, il y a une caméra, et je leur explique que le plan focal de ces caméras a été développé il y a 20 ans au JPL (NASA) pour les instruments astronomiques. On avait besoin d’avoir une caméra qui devait être très petite, très miniaturisée et très légère. Alors on a fait des recherches, et on a développé cette caméra. Puis un entrepreneur a dit « Ah, je peux utiliser ça dans les iPhone ». C’est un exemple que je donne au public, la contribution des scientifiques et des ingénieurs a participé à un grand changement dans notre vie quotidienne.

Afin de rebondir de la meilleure façon sur l’esprit du développement du téléphone portable et sa miniaturisation, nous vous recommandons l’écoute de l’entrepreneur Belgacem Haba, l’homme au plus de 1500 brevets :

Belgacem Haba, chercheur en nanoélectroniques à Xperi Corporation

 

Exemple du savoir-faire liés à l’astronomie et à l’aérospatial

Nous pouvons prendre l’exemple du sextant périscopique qui était installé dans le cockpit des avions afin de se repérer à l’aide des étoiles, la fameuse navigation aux étoiles, à l’image des anciens navigateurs. Ils devaient posséder d’excellentes connaissances en astronomie, maîtriser parfaitement la mécanique céleste, pour naviguer, se déplacer en plein vol. En effet, l’avion étant situé au-dessus de la première couche de nuages, il avait beaucoup plus de possibilités de voir, d’observer les étoiles en pleine nuit. Un navigateur aux étoiles s’occupait de l’utilisation du sextant, des réglages précis avec des temps très courts pour la visée de chaque astre. Cela permettait d’obtenir des valeurs plus ou moins correctes sur la localisation de l’avion. Mais ce savoir-faire a complètement disparu, car la révolution du spatial a instauré d’autres cadres de repérages, des moyens nous permettant d’avoir une localisation beaucoup plus précise via la mise en orbite des différents satellites et l’utilisation du GPS.

En effet, je vais vous donner un autre exemple. Lorsque je fais des interventions publiques, je parle de la technologie spatiale, de comment on l’utilise.  Je pose souvent cette question à l’audience : « combien parmi vous ont utilisé l’espace dans les dernières 24 heures ? » D’habitude, il y a quelques personnes qui lèvent le doigt pour partager leurs connaissances sur ce sujet. Pour répondre à cette question, je leur rappelle que lorsqu’ils sont venus avec leur voiture, ils ont utilisé Google Maps pour leur localisation, et donc qu’ils ont utilisé l’espace, parce que le GPS (Global Positioning System) les a aidés à se déplacer pour se rendre au lieu de la conférence ; comment aller d’un point A à un point B. Le public est un peu surpris parce qu’il ne pense pas que ce soient des satellites qui les aient aidés à faire leur déplacement. Donner des exemples comme cela démontre l’importance de la recherche spatiale et des systèmes spatiaux.

 

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Dr Charles Elachi, professeur au California Institute of Technology (Caltech). Directeur du Jet Propulsion Laboratory-NASA (2001-2016)