« Croyez en vos rêves !
Il y a plein d’exemples de réussites dans la société.
Autant chez les hommes que chez les femmes »
« La première mission est une mission qui s’appelle Cryosat-2, lancée en 2010, dont l’instrument principal est un radar. Cryosat-2 est toujours en opération. Une autre mission sur laquelle je travaille beaucoup est ICESat–2, une mission de la NASA qui a été lancée en 2018. ICESat–2 transporte un altimètre, mais laser cette fois-ci, donc un lidar. »
« L’un des premiers indicateurs de ce réchauffement climatique, c’est la fonte de la glace. »
« L’Arctique se réchauffe quatre fois plus vite que le reste de la terre. »
L’interview d’exception du Docteure Sahra Kacimi, référente en Météorologie, Océanographie et Environnement au Jet Propulsion Laboratory (NASA).
– Les femmes ont des talents inestimables ✨ –
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Parcours
Je suis chercheure au Jet Propulsion Laboratory (JPL) à Pasadena, en Californie. Mes travaux de recherche se focalisent principalement sur la banquise et son rôle dans le changement climatique. J’ai grandi entre le Congo et le Gabon. Après avoir eu mon bac au Gabon, je suis arrivée à Paris et j’ai fait 2 années d’école de médecine. Mais je me suis réorientée vers un parcours d’ingénieur comme j’étais vraiment passionnée par les sciences, les mathématiques et la physique. Le nom de ma filière était sciences physiques pour l’ingénierie. Lorsque j’ai atteint le niveau master, j’avais entendu parler d’un master à l’université de Paris Jussieu (Paris 7) qui s’appelle Méthodes physiques en télédétection ou remote sensing, qui permet de comprendre un peu mieux les méthodes et les instruments qu’on utilise pour étudier notre terre, étudier les différentes planètes et mesurer certaines variables géophysiques. C’est un master assez connu, il y a pas mal de personnes au JPL qui viennent de ce master. À la fin de ce master, j’ai postulé pour une thèse au Latmos, un laboratoire situé à Guyancourt (78). Le sujet me plaisait parce qu’il y avait pas mal de statistiques et de machine learning appliqué au développement d’algorithmes de restitution des pluies.
Le sujet de thèse
Le sujet de ma thèse était comment améliorer, développer de nouvelles méthodes de restitution de pluies, donc de précipitations, dans les tropiques à partir de données de satellites micro-ondes. C’était en préparation pour la mission Mégha-Tropiques, une mission collaborative entre l’agence spatiale indienne ISRO et le CNES. Sur Mégha-Tropiques, il y a un instrument qui s’appelle un radiomètre qui opère dans les bandes micro-ondes et avec ce type de données, il est possible de restituer un taux de précipitation. Pendant ma thèse, j’ai développé la version recherche de l’algorithme de restitution des pluies pour la mission.
Les formations universitaires françaises
L’éducation nationale, le système éducatif français, nous transmet vraiment des bases solides. Ce que nous apprenons au sein des universités, à l’école publique ou même dans les grandes écoles, en France, nous permet vraiment d’avoir des bases solides. Une fois que nous sommes lancés dans la carrière scientifique, toutes ces connaissances acquises, ces bases sont d’une grande utilité.
Les scientifiques du JPL sur le réchauffement climatique, l’observation de la fonte des glaces
Au JPL, on a toute une section qui est vraiment dédiée aux sciences de la Terre, au remote sensing( = la télédétection) particulièrement. Pour les sciences de la Terre, certains professionnels travaillent sur les océans, sur le cycle du carbone, la végétation, l’atmosphère… Il y a vraiment différents types de chercheurs qui travaillent dans cette section dédiée aux sciences de la Terre. Pour la cryosphère, c’est tout ce qui concerne les masses de glace, de neige, les eaux gelées de la Terre. Cela inclut la banquise, les glaciers, les calottes polaires. Nous sommes très peu au JPL à travailler sur la banquise, nous sommes trois et sur la cryosphère, nous sommes 10.
Deux grands projets
La première mission, c’est une mission qui s’appelle Cryosat-2, lancée en 2010. L’instrument principal est un radar. Cryosat-2 est toujours en opération. Une autre mission avec laquelle je travaille beaucoup, c’est ICESat–2, une mission de la NASA qui a été lancée en 2018. ICESat–2 transporte un altimètre, mais laser cette fois-ci, donc un lidar.
Les différences entre un lidar et un radar :
- le lidar est une technique de mesure à distance fondée sur l’analyse des propriétés d’un faisceau de lumière renvoyé vers son émetteur.
- Le radar est un système qui utilise les ondes électromagnétiques pour détecter la présence et déterminer la position ainsi que la vitesse d’objets tels que les avions, les bateaux, ou la pluie.
Le lidar et le radar sont très complémentaires parce que le lidar nous permet de faire des mesures avec une très grande précision de la surface, et une résolution au sol qui est très fine avec différentes profondeurs de pénétration. En utilisant le lidar et le radar, le signal du lidar se reflète tout en haut de la couche neigeuse, situé au-dessus de la glace, et avec le radar, on pénètre un peu plus dans la couche neigeuse. Ces dernières années, j’ai beaucoup travaillé sur le développement d’une méthode qui combine ces deux observations entre le lidar et le radar. En combinant ces deux observations, on arrive à avoir une description de la couche de neige au-dessus de la banquise. C’est quelque chose qu’on ne savait pas faire avant, qu’on ne pouvait pas faire parce qu’on n’avait pas forcément les observations pour le faire. Cette information sur la neige est très importante parce que la neige a un gros impact sur la glace en dessous. Savoir avec précision quand la neige tombe et combien de neige s’accumule au cours d’une saison est essentiel.
Une dernière mission avec laquelle je travaille s’appelle CRISTAL, elle n’a pas encore été lancée, elle va être lancée en 2027. C’est une collaboration entre l’ESA et la NASA. Crystal est le successeur de Cryosat-2, c’est un Cryosat-2 amélioré. Sur CRISTAL, on aura un altimètre qui va opérer avec deux fréquences. Ces deux fréquences nous permettrons de mesurer l’épaisseur de neige sur la banquise pour la première fois.
Un autre aspect important concernant le satellite SWOT. Les principaux objectifs de la mission SWOT sont vraiment focalisés sur les océans, sur la topographie des océans. Nous essayons avec quelques chercheurs de développer des produits avec SWOT. Même si SWOT n’a pas été conçu pour la banquise, nous travaillons à mettre en place d’autres modèles complémentaires à l’aide des données récoltées par différents satellites et SWOT.
Quelques élites scientifiques au cœur des plus grands défis scientifiques et technologiques:
Dr Charles Elachi, d’origine libanaise, est professeur au California Institute of Technology (Caltech), et a été directeur du Jet Propulsion Laboratory de 2001 à 2016. Il a permis entre autre, après de nombreuses négociations politiques et industrielles, le développement et le vol du premier Hélicoptère sur la planète mars : Ingenuity
Belgacem Haba, d’origine Algérienne, professeur et scientifique de renom, considéré comme l’homme le plus inventif (plus de 1500 brevets), acteur majeur de la Silicon Valley, classé parmi les 100 inventeurs les plus productifs des États-Unis.
Dr Nacer Chahat, ingénieur français de la Nasa, au Jet Propulsion Laboratory (JPL). Depuis 2013, il est au cœur de tous les grands défis au sein l’agence spatiale américaine(NASA). On peut citer les CubeSats Marco (A et B), le démonstrateur de vol Ingenuity, petit hélicoptère du rover Perseverance. Il est également le référent du satellite Swot, mission spatiale d’observation de la Terre.
Les causes de la fonte de la glace, de la banquise
L’histoire de la terre témoigne de nombreuses périodes glaciaires. Depuis 1970, certains soulignent une accélération de la fonte des glaciers. Peux-tu nous expliquer les causes probables de la fonte des glaciers, et de l’Arctique en particulier ? Comment démontrer la réalité de cette fonte ? Est-ce dû à la fin d’une période glaciaire ? Au réchauffement climatique ?
Effectivement, depuis le début de l’ère satellitaire, on a pu faire un suivi précis de la fonte de la glace terrestre et de la glace de mer, donc de la banquise.Toutes ces données satellites nous montrent que la glace fond. Il y a un consensus scientifique sur le fait que la glace fond et que c’est en grande partie dû au réchauffement climatique. L’un des premiers indicateurs est la fonte de la glace. Cette perte de la banquise dans l’Arctique, c’est une région très importante parce que l’Arctique se réchauffe quatre fois plus vite que le reste de la terre.
Différents mécanismes expliquent cela.
L’un des mécanismes qui explique cette amplification de l’Arctique en perdant la neige et la glace qui sont des matériaux très réfléchissant. Ils permettent de protéger les océans de l’énergie solaire. Ils reflètent dans l’espace la majeure partie de l’énergie solaire et donc plus on perd de la glace, plus les océans absorbent de la chaleur et cela crée un cercle vicieux qui fait que plus on perd de la glace, plus on perd de la glace parce que les océans, l’Arctique absorbent beaucoup de chaleur ce qui entraîne encore plus de perte de glace. Cela contribue à l’amplification de l’Arctique. Beaucoup de chercheurs, d’articles et de données ont démontré qu’effectivement le réchauffement climatique est bien réel. Dans l’Arctique, c’est encore plus dramatique parce qu’il se réchauffe beaucoup plus que le reste de la terre. Avec les données satellites, cela nous permet en fait de continuer à mesurer ces changements dans les régions polaires, combien de glaces on perd, et de former les modèles de prédiction.
Challenges des chercheurs au sein du JPL
Oui, effectivement, quand on est chercheur, quand on est research scientist au JPL et dans d’autres centres aussi de la NASA, on est souvent sur ce qu’on appelle du soft money. Cela veut dire qu’on est responsable de trouver notre salaire, de trouver notre propre financement . La façon dont cela fonctionne, c’est que lorsqu’on est chercheur, on doit répondre à des appels d’offres qui sont émis, par exemple, par la NASA et on doit écrire une proposition scientifique lorsqu’on a une idée et qu’on souhaite développer un projet ou lorsqu’on veut utiliser des données satellites pour comprendre comment fonctionne notre terre, faire une étude de processus, plein d’investigations scientifiques. Si on souhaite effectuer un travail spécifique, en général, c’est sur 3 ou 4 ans, c’est un processus qui est extrêmement compétitif . La plupart des chercheurs soumettent des propositions à des appels d’offres et ces appels d’offres sont ensuite évalués à travers un panel et les taux de sélection sont en général inférieur à 10 %. Être chercheur aux États-Unis, du moins au JPL, c’est très compétitif parce qu’effectivement, il faut rester au top, avoir des idées qui sont compétitives et écrire de bonnes propositions, répondre aux appels d’offres. C’est un challenge assez important quand on est chercheur.
Une rencontre
Oui, pour moi, il y a vraiment une rencontre qui a complètement changé la trajectoire de ma carrière. Comme je l’ai énoncé, j’ai fait ma thèse sur les pluies tropicales, ce qui a plus de sens étant donné que je suis africaine. Quand j’ai été embauché au JPL (NASA), j’ai été embauché plus sur un profil d’ingénieur où j’aidais vraiment au développement d’algorithmes pour différentes missions, différents types de données aéroportées satellitaires.Quand j’ai été embauchée, j’ai commencé à travailler avec un chercheur qui s’appelle Ron Kwok et qui a maintenant pris sa retraite. Il est un expert reconnu internationalement sur la banquise. Lorsque j’ai commencé à travailler avec lui, j’ai vraiment adoré le sujet, j’ai adoré sa façon de travailler et je pense que ça a été vraiment un tournant dans ma carrière, parce qu’à ce moment-là, j’ai vraiment décidé de changer de thématique et je me suis focalisée entièrement sur la glace et sur la banquise. Cette rencontre, elle a vraiment, elle a changé énormément de choses pour moi !
Les associations scientifiques et techniques
La démarche scientifique, la pensée de la démarche scientifique, la science c’est vraiment quelque chose qui se partage. On apprend mieux lorsqu’on partage et quand on collabore. L’idée d’association scientifique et technique, c’est de partager le savoir et le savoir-faire. Cela fait partie de l’avancée de la science et de nos connaissances. C’est nécessaire!
Je ne serais pas là où je suis si je n’avais pas partager, collaborer avec d’autres personnes à travers différents types de groupes. Les associations ou les groupes de personnes qui travaillent sur des missions sont essentiels pour assurer la pérennité de la connaissance scientifique.
Article de :
- Mise en page web et propos recueillis par Halim BENNADJA, chef de projet à l’Association Odyssée Céleste
- Réponses de Dr Sahra Kacimi, Docteure référente en Météorologie, Océanographie et Environnement au Jet Propulsion Laboratory (NASA)
- Montage Vidéo/Podcast : Halim Bennadja
- Date de réalisation : 17 Décembre 2024
- Copyright images: Association Odyssée Céleste/ texte wikipedia / NASA-JPL-Caltech/
Dr Sahra Kacimi
Spécialiste en Météorologie, Océanographie et Environnement – Jet Propulsion Laboratory (NASA)