Interviews / Podcasts

Nicolas Laporte, astrophysicien à l’Université de Cambridge

par | Mai 24, 2023 | Interviews / Podcasts | 0 commentaires

Nicolas Laporte est astrophysicien à l’université de Cambridge. Son domaine de recherche porte sur l’étude de la formation et de l’évolution des toutes premières galaxies de l’univers formées quelques 200 à 300 millions d’années après le Big-Bang, au début de l’univers. Après avoir travaillé en Espagne et au Chili, sur les grands télescopes comme le GTC (Gran Telescopio Canarias) et le VLT (Very Large Telescope), il est actuellement astrophysicien et enseignant dans la prestigieuse université de Cambridge.

« Mais quand elles y vont, quand elles disent « ok, je vais faire une carrière scientifique », eh bien, elles excellent ! Beaucoup des grandes découvertes qui ont été faites au 20e siècle ont été faites par des femmes. Par exemple, la matière noire, c’est Vera Rubis, une astrophysicienne américaine qui s’est dite “tiens, on ne connaît pas trop ce qui se passe dans les galaxies, je vais regarder comment tournent les galaxies”. En observant la galaxie d’Andromède, elle s’est rendu compte que cela ne tournait pas exactement comme on s’y attendait, ce qui a permis la découverte de la matière noire. Si on s’intéresse à la découverte de l’ADN, la double hélice de l’ADN, là aussi, c’est une femme qui a fait cette découverte, Rosalind Franklin. Si on regarde le dernier recrutement français de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) pour les astronautes, c’est une femme, Sophie Adenot. »

En vidéo sur Youtube :

 En podcast :

Domaine de recherche

Mon domaine de recherche particulier, c’est l’étude du premier milliard d’années de l’univers et plus précisément la recherche de l’aube cosmique, c’est-à-dire ce moment dans l’histoire de l’univers où les galaxies et les étoiles ont commencé à produire de la lumière, autour de 300 à 400 millions d’années après le Big Bang. L’objectif, c’est de comprendre les propriétés physiques de ces premières étoiles, de ces premières galaxies, de comprendre comment tout cela s’est formé au tout début de l’univers. Mais aussi comment cela a évolué quand on parle de galaxies très petites, qui forment beaucoup d’étoiles, pour arriver à des galaxies comme la Voie lactée, notre galaxie.

Rencontres particulières

 Une rencontre qui a marqué mon parcours d’étudiant, c’est ma directrice de thèse, Madame Roser Pello, spécialiste en France de la recherche des premières galaxies. Je voulais travailler avec elle parce que mon intérêt était vraiment porté sur les galaxies. Quel meilleur domaine pour découvrir des galaxies que d’aller les chercher au tout début de l’univers ? C’est une femme très dynamique et dans toutes les discussions que j’ai eues avec elle, on ne parlait que de science. Je voyais que la seule chose qui l’intéressait, c’était de répondre à des questions scientifiques et cela m’a beaucoup intéressé. Elle a probablement été celle qui a contribué à ce que je persévère dans ce domaine-là. Une thèse, c’est vraiment l’alchimie entre l’étudiant et l’encadrant de thèse.Ensuite, j’ai eu la chance de travailler avec Richard Salisbury Ellis, cosmologiste reconnu internationalement, très brillant dans son domaine, membre de l’Ordre de l’Empire britannique et de la Royal Society, professeur d’astronomie, titulaire de la chaire Steele au California Institute of Technology (Caltech).

Quelques noms de l’université de Cambridge

Concernant la cosmologie à Cambridge, c’est vrai qu’on a des grands noms qui sont venus travailler ici. Le plus ancien, je dirais, c’est Arthur Stanley Eddington. Il a laissé son nom dans la cosmologie moderne puisqu’il a travaillé sur les trous noirs, il a travaillé en poussant la théorie d’Albert Einstein dans ses retranchements, en indiquant que si l’on courbe complètement l’espace-temps, on devrait trouver des trous noirs. Il a surtout démontré que la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein était correcte. Dans ce registre,  deux expéditions britanniques ont été faites sur l’éclipse solaire de 1919. L’une sur la côte nord-est du Brésil, à Sobral, et l’autre dans le Golfe de Guinée, en Afrique. Il a été le premier à la vérifier expérimentalement sur l’île de Principe,  qui est une île d’Afrique située  à 350 kilomètres des côtes du Gabon dans le Golfe de Guinée. Il a observé, conformément à la théorie, la déviation des rayons lumineux d’étoiles observables à proximité du Soleil lors de l’éclipse. C’est le premier « Grand Nom » de la cosmologie moderne qui est passé par Cambridge. On peut en citer d’autres, comme Fred Hoyle, celui qui a nommé la théorie du Big Bang.  Il ne croyait pas à cette théorie, qui dit que l’univers serait né d’une énorme libération d’énergie il y a 13,8 milliards d’années, à la suite de laquelle il aurait grandi. On a aussi Richard Salisbury Ellis avec qui j’ai travaillé. Il a consacré sa vie à la recherche et à l’étude de l’aube cosmique, cette période où les galaxies naissent. Expert mondialement connu et reconnu.Dans d’autres domaines que la cosmologie, on a eu pas mal de prix Nobel, notamment Didier Patrick Queloz qui a détecté et découvert la première exoplanète, la planète géante qui tourne autour d’une étoile autre que le Soleil, 51 Pegasi.

Cette exoplanète a été détectée grâce à la mesure de petites variations périodiques de la vitesse radiale stellaire qui est produite par la planète (en orbite autour de son étoile). La détection a été possible grâce au spectrographe, Élodie, construit à l’Observatoire de Haute Provence.

L’association Odyssée Céleste s’efforce généreusement depuis de nombreuses années à réaliser des interviews avec des personnalités d’exceptions du monde scientifique (professeurs-chercheurs émérites, inventeurs hors pair.) et de l’industrie afin de favoriser leurs visibilités auprès du public français. Pourquoi ? Pour mettre en exergue les différentes possibilités de participer aux grands projets scientifiques et industriels auxquels la France et les français contribuent. Favoriser l’instauration de bons repères, de bonnes connexions auxquelles des jeunes pourront s’identifier et transmettre les bonnes informations afin de se projeter socialement et professionnellement en bonne intelligence. Chaque personne interviewée représente l’écho d’un centre de recherche, d’une institution gouvernementale, d’une école d’ingénieur, et de vécus personnels. « Vivre vaut la peine si l’on peut contribuer d’une petite manière à cette chaîne sans fin de progrès humain. » Paul Dirac, Mathématicien, Physicien, Scientifique (1902 – 1984).

La détection des trous noirs

Quand il y a un trou noir dans une galaxie, celui-ci va avoir un rôle assez néfaste sur l’évolution et la croissance de cette galaxie, c’est-à-dire qu’il va empêcher la galaxie « de grossir en masse », pour simplifier. C’est intéressant, car c’est une question d’actualité, notamment au vu des premiers résultats du télescope James-Webb. Nous, on pensait que dans les premières galaxies, il y avait peu de chances qu’il y ait des trous noirs. Parce que pour former un trou noir, il faut du temps, si on en croit leurs modèles de formation. Or, ce que nous montre le télescope James-Webb, c’est que dans « quasiment toutes les galaxies » détectées par Hubble, les galaxies les plus brillantes de l’univers jeune, il y aurait des trous noirs. Cela nous pose un problème car lorsque l’on trouve un trou noir, 400 millions d’années après

le Big Bang, cela signifie qu’en moins de 400 millions d’années, on est capable de former un trou noir très massif. Là, il s’agit de trous noirs de l’ordre d’un million de fois la masse du Soleil, ce ne sont pas des petits trous noirs, il s’agit de trous noirs massifs. On ne sait pas trop comment ils se forment, comment est-ce qu’un trou noir arrive et va empêcher la galaxie d’évoluer…
Maintenant, est-ce qu’il y en a dans toutes les galaxies ? Je dirais que comme on est en train de les trouver au début de l’univers, il n’y a aucune raison que toutes les galaxies que l’on observe, pour l’instant au début de l’univers, c’est-à-dire les galaxies les plus brillantes, et pour lesquelles on peut détecter le trou noir, là où on peut le détecter, on en détecte. C’est donc assez marrant. Mais quelle est leur influence sur l’évolution et la formation des galaxies ? Ça, on n’en sait pas grand-chose, pour l’instant.

 

L’importance des associations scientifiques et techniques

Les associations de médiation scientifique sont indispensables à notre société ! Récemment, on l’a vu pour deux raisons. La première, parce que les chercheurs ne peuvent pas être tous les soirs ou tout le temps dans les écoles, à échanger avec le grand public. Sinon, ils ne feraient plus de recherche scientifique. Les associations de médiation scientifique doivent impérativement continuer à exister ! Il faut les soutenir !
La deuxième chose, on l’a vu avec la période du Covid, on a eu de plus en plus – et il y a eu un sondage je crois, ou une étude qui a été faite par France Télévisions il y a 1 an ou 1,5 an – qui a montré qu’après le Covid, plus de 50 % des personnes donnaient autant de crédit aux théories complotistes ou aux autres théories qu’aux théories scientifiques, c’est-à-dire que la science a perdu sa place d’honneur dans le respect qu’elle avait au sein de la population.
Les associations scientifiques sont extrêmement importantes pour cela, parce qu’elles sont aussi là pour redonner à la science sa place dans la société, qui n’y est plus ! À  la télévision, on n’en voit plus, quand j’étais enfant, on avait « C’est pas sorcier » à la télé, E=M6 qui était vraiment l’actualité des sciences ! « C’est pas sorcier » à disparu, et E=M6, c’est plus vraiment l’actualité scientifique. À la radio, il y avait une émission qui s’appelait « la tête au carré », quelque chose comme ça, qui parlait de science. On a changé, on fait maintenant autre chose qui s’appelle la Terre au carré, qui est aussi intéressant, mais on réduit petit à petit la place de la science dans la société ! C’est dommage, car quand on a des crises comme celle du Covid qu’on a traversées, si tout le monde savait comment fonctionne un vaccin, on n’aurait pas dit des choses comme quoi on allait nous mettre une puce pour nous suivre, etc. Donc les connaissances scientifiques, c’est très important. La science a de moins en moins de place dans le cursus scolaire des jeunes également. Il faut donc que les associations continuent leur travail, il faut impérativement que tous les médiateurs scientifiques, toutes ces personnes qui sont passionnées par les sciences et qui ont envie de transmettre le fassent, aillent dans les écoles.

 L’intérêt des sciences auprès des jeunes et du grand public

S’ils sont intéressés par les sciences en général, c’est une bonne chose. Il faut surtout le dire aux jeunes filles, parce que les jeunes filles sont intéressées par les sciences, mais elles pensent qu’elles ne peuvent pas faire de carrière scientifique. Ça, c’est faux !!! On le voit, on observe qu’il y a ce désintérêt des jeunes filles pour les carrières scientifiques ou pour les sciences en général mais quand elles y vont, quand elles disent « ok, je vais faire une carrière scientifique », eh bien, elles excellent ! Beaucoup des grandes découvertes qui ont été faites au 20e siècle ont été faites par des femmes. Par exemple, la matière noire, c’est Vera Rubis, une astrophysicienne américaine qui s’est dite “tiens, on ne connaît pas trop ce qui se passe dans les galaxies, je vais regarder comment tournent les galaxies”. En observant la galaxie d’Andromède, elle s’est rendu compte que cela ne tournait pas exactement comme on s’y attendait, ce qui a permis la découverte de la matière noire. Si on s’intéresse à la découverte de l’ADN, la double hélice de l’ADN, là aussi, c’est une femme qui a fait cette découverte, Rosalind Franklin. Si on regarde le dernier recrutement français de l‘Agence Spatiale Européenne (ESA) pour les astronautes, c’est une femme, Sophie Adenot. Il faut dire, surtout aux jeunes filles, de ne pas baisser les bras et de ne pas se désintéresser des sciences, elles peuvent y arriver, et même, elles vont y arriver !

Article de :

Lire la suite de l'article

Nicolas Laporte, astrophysicien à l’Université de Cambridge