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Natacha Callens, ESA Academy Engagement Programme Administrator.

par | Sep 20, 2023 | Interviews / Podcasts, Retrouvez toutes nos actualités | 0 commentaires

« Croyez en vos rêves ! Il y a plein d’exemples de réussites dans la société. »

 

« En Belgique, il existe un programme qui s’appelle « Un jour, un métier » et on peut s’inscrire en disant “Ben voilà, j’ai 16-17-18 ans et j’aimerais découvrir un métier”. Dans ce cadre-là, j’ai eu l’occasion unique à l’époque de rencontrer le premier astronaute belge Dirk Frimout, également physicien. Cet échange avec lui a été vraiment déterminant pour moi et évidemment, à partir de là, mon rêve était de devenir astronaute. Ensuite, en rencontre au niveau universitaire, j’ai eu comme professeur Jean-Pierre Bibring, astrophysicien et professeur de physique à Paris XI, l’université d’Orsay (Paris-Saclay). Il est entre autres le coordinateur scientifique de Philae, le célèbre petit robot transporté par Rosetta qui s’est posé en novembre 2014 sur la comète Tchouri. C’était un professeur très inspirant mais aussi très ouvert auprès de ses étudiants. »

L’interview d’exception de Natacha Callens, ESA Academy Engagement Programme Administrator de l’Agence spatiale européenne (ESA).

En vidéo sur Youtube:

 En podcast :

Parcours

Je travaille pour l’agence spatiale européenne, l’ESA, dans le département de l’éducation, et je participe au programme ESA Academy qui est dédié aux étudiants universitaires de nos pays membres et associés.

Quand j’ai fini l’école secondaire, après l’équivalent de la terminale en Belgique, je voulais faire des études et donc j’ai décidé de partir à Paris pour réaliser ce qui s’appelait à l’époque un DEUG SM (Sciences de la Matière) à Paris XI, à l’université d’Orsay (Paris-Saclay). En deuxième année, je me suis spécialisée en physique et j’ai ensuite réalisé un DEA en mécanique des fluides à Paris VI, à l’université de Pierre et Marie Curie (Sorbonne Université). Une fois mon Master obtenu, pour moi, c’était assez logique de continuer en tant que scientifique sur une thèse de doctorat, et j’ai eu la chance de réaliser un doctorat sous tutelle. Cela s’appelle un double doctorat, et il se fait entre le Laboratoire de Physique des milieux hétérogènes de l‘ESPCI de la ville de Paris et le MRC, le Microgravity Research Center à l’ULB, l’Université Libre de Bruxelles(ULB). Mon doctorat était dans le domaine des sciences séparatives, j’étudiais en particulier les mécanismes qui sont à la base de la séparation en continu sans membrane. Pour simplifier, j’ai travaillé sur un petit système qui n’avait pas de membrane à l’intérieur, donc j’avais deux entrées, deux sorties et j’avais une marche à l’entrée et une autre à la sortie. Et, en fait, on injectait dans le système un liquide avec des microparticules. Pour vous donner un exemple, un cheveu, c’est 100 microns. Et moi, mes particules, elles avaient entre 10, 50, 100, 200 microns et l’idée, c’était d’étudier ce qui se passait à l’intérieur de ce système sur ces particules.

Au niveau de ma thèse, j’avais commencé à travailler avec des collègues sur un projet ESA, le projet PRODEX qui s’appelait BIOMICS, ça veut dire “Biomimetic and Cellular System”. A la suite de ma thèse, on m’a proposé de rester travailler sur ce projet en tant que chercheuse. Mon travail consistait à participer activement au développement d’une charge utile, d’une expérience qui serait réalisée dans une fusée sonde pendant trois ans.  J’ai travaillé en partenariat avec les deux universités, l’Université Libre de Bruxelles(ULB) et l’Université Paris VI, mais aussi avec l’Université de Grenoble sur le développement de cette expérience scientifique, ainsi qu’avec l’ESA.

Rencontres particulières et influences

En tant que jeune étudiante, pour trouver l’information, qu’est-ce que je faisais ? J’allais à la bibliothèque. Et en allant à la bibliothèque de mon école, je suis tombée sur un magazine qui s’appelait Space Connection. J’ai eu l’excellente idée de l’ouvrir et de le feuilleter, et après ça, eh bien, c’est devenu mon magazine préféré. Ça a été ma première découverte avec le monde du spatial et à partir de là, j’ai su qu’un jour, mon rêve, ce serait de faire une carrière dans le spatial.

Ensuite, en Belgique, il existe un programme qui s’appelle « Un jour, un métier » et on peut s’inscrire en disant “Ben voilà, j’ai 16-17-18 ans et j’aimerais découvrir un métier”. Dans ce cadre-là, j’ai eu l’occasion unique à l’époque de rencontrer le premier astronaute belge Dirk Frimout, également physicien. Cet échange avec lui a été vraiment déterminant pour moi et évidemment, à partir de là, mon rêve était de devenir astronaute. Même si mes parents ont toujours été présents, ils m’ont fait garder les pieds sur Terre. Ils m’ont dit : « Écoute, c’est bien d’avoir des rêves, peut-être que t’y arriveras, peut-être que tu n’y arriveras pas. Parce qu’être astronaute, c’est encore plus rare que devenir Président ! Mais il faut poursuivre ce rêve et tu verras où cela te mènera.»

Ensuite, en rencontre au niveau universitaire, j’ai eu comme professeur Jean-Pierre Bibring, astrophysicien et professeur de physique à Paris XI, l’université d’Orsay (Paris-Saclay). Il est entre autres le coordinateur scientifique de Philae, le célèbre petit robot transporté par Rosetta qui s’est posé en novembre 2014 sur la comète Tchouri. C’était un professeur très inspirant mais aussi très ouvert auprès de ses étudiants. En fait, un jour, je lui ai parlé de mon rêve de devenir astronaute et là, il m’a dit : « Ben, tu sais, moi, je connais très bien Jean-Pierre et Claudie Haigneré » donc deux astronautes français, qui travaillaient à l’époque au centre de formation des astronautes européens. Il m’a dit : « Si tu veux, je te donne leur numéro de téléphone ». Alors moi, du haut de mes 19-20 ans, j’étais là, “Ok, il va me falloir beaucoup de courage pour appeler ! » Mais j’y suis arrivée, j’ai appelé plusieurs fois… Finalement, un jour, je reçois un appel et c’était Claudie Haigneré : «Il semblerait que tu aimerais me parler donc voilà, c’est ton occasion ». Et là, je lui ai dit  que mon rêve, c’était de devenir astronaute, mais surtout de découvrir le monde du spatial. Elle m’a proposé de faire un stage de six semaines au Centre de Formation des Astronautes.

Ça a été aussi une expérience assez incroyable, qui m’a vraiment déterminée dans la carrière que je voulais faire.

Un autre exemple, parce qu’il y en a eu beaucoup au niveau de ma carrière professionnelle, je dirais que la personne qui m’a le plus inspirée, c’était mon premier chef, c’est-à-dire la personne qui m’a fait rentrer à l’ESA en tant que consultante, au tout début, au département de l’éducation. Il s’appelle Javier Ventura, il m’a appris comment gérer une équipe. Grâce à lui, je peux voir l’importance de chacun, que chacun doit trouver sa place dans l’équipe, toute personne doit avoir un rôle clair et qui lui plaise. C’est important de donner de la confiance à son équipe, leur laisser assez de liberté pour se développer, pour réaliser leurs tâches; mais le point le plus important, c’est la communication entre les différents membres de l’équipe et le management.

Challenges d’ESA éducation

Je dirais que depuis plusieurs années, le monde de l’éducation est en pleine évolution, que ce soit en termes de méthodologie ou de digitalisation. En fait, l’éducation devient beaucoup plus interactive, personnalisée, mais aussi multidisciplinaire et elle se base plus sur des compétences spécifiques. J’ai vu au cours des années l’importance qu’on donne maintenant à ce qu’on appelle les Soft Skills, par exemple la créativité, l’intelligence émotionnelle, le leadership, la capacité à prendre des décisions, l’adaptabilité, etc. C’est un peu ce qu’on appelle les compétences du 20e siècle, c’est très important !
C’est quelque chose d’important au niveau de l’éducation, on en tient compte et on évolue dans la manière et dans les méthodologies qu’on utilise pour préparer au mieux les talents de demain.
D’autre part, le monde spatial est en pleine évolution avec l’apparition des nouvelles technologies, on peut citer l’intelligence artificielle, mais aussi l’importance par rapport aux autres grandes puissances que vous citiez, pour l’Europe, de rester compétitive au niveau commercial. Pour cela, au niveau de l’éducation, on a mis en place une stratégie d’évolution de notre programme qui s’appelle “Space for Education 2030”. L’idée, c’est de maintenir les activités qui existent, mais aussi de les adapter et de les développer en parallèle avec de nouvelles opportunités. Parce que le but, c’est d’aller vers l’avant, de préparer la nouvelle génération à des métiers qui n’existent pas, à des technologies qui n’ont pas encore été développées, et même pour résoudre des problèmes qu’on n’a pas encore identifiés.
Pour revenir à la formation, on a développé au cours des années un portfolio très varié sur les différents domaines d’expertise de l’ESA. Ce portfolio est en évolution permanente, en termes de sujets, mais aussi en termes de contenu. Notre audience a été, pendant les premières années, principalement des futurs scientifiques et des futurs ingénieurs. Aujourd’hui, on souhaite élargir notre audience à d’autres domaines, cela peut être des futurs entrepreneurs, des futurs businessmen, des futurs avocats, mais aussi n’importe qui, qui peut bénéficier des données spatiales – des agriculteurs par exemple, ou des architectes – et mettre en place de nouvelles méthodologies. Par exemple, avant le Covid-19, toutes nos formations étaient en face-à-face. Avec le Covid-19, on a été obligé de passer en ligne. Cela a été une grosse évolution. Maintenant, on essaye de se développer au niveau de l’e-learning pour pouvoir donner l’accès à un maximum de personnes.
En somme, tout cela contribuera évidemment au développement des talents au niveau de l’Europe.

Des projets développés pour les jeunes

Lorsque les jeunes finissent leurs études et cherchent un travail, quand ils voient les offres de travail, on leur demande souvent qu’ils aient déjà de l’expérience et ce n’est pas toujours facile d’acquérir de l’expérience pendant ses études. De plus en plus, c’est vrai, les études permettent la réalisation de stages, mais ces stages ne sont pas toujours pratiques. Donc là, l’idée, c’était d’une autre manière, au sein de l’ESA éducation et du programme ESA ACADEMY pour les étudiants universitaires, de leur offrir en parallèle d’autres opportunités. Le principe, c’est que les jeunes forment une équipe avec leurs copains, leurs collègues et proposent une expérience scientifique ou une démonstration technologique qu’ils souhaiteraient réaliser en microgravité ou en hypergravité ou dans un ballon stratosphérique, en plus de toutes les plateformes que vous avez déjà citées. Nous faisons un appel d’offres récurrent tous les ans, tous les deux ans.

Et ils appliquent pour participer, pour réaliser leur expérience dans une des plateformes. Ensuite, avec eux, on va de leurs idées jusqu’au design de leur expérience. Ensuite, ils la développent au sein de leur université. Ils doivent toujours évidemment avoir le support de leur université, ils la testent, puis ils viennent à une campagne : une campagne de vol parabolique, de fusée sonde, de centrifugeuse. Et là, avec les personnes en charge de la plateforme, ils vont intégrer leurs expériences dans la plateforme, la tester au sol, puis la réaliser en microgravité ou en hypergravité.

C’est une expérience évidemment unique pour ces jeunes, mais ce n’est pas la fin du programme ! En tant que scientifique, j’aime rappeler qu’il ne faut pas simplement collecter des données après ça, il y a encore toute une partie du travail qui est très importante, qui est l’analyse des données pour obtenir des résultats scientifiques. Si l’expérience a été une réussite, il y a une publication d’articles dans des journaux ou une participation dans des conférences. On permet vraiment aux jeunes d’aller de l’idée à la publication, on les soutient tout au long des différentes phases et on essaye vraiment de les faire participer à chaque moment, de les faire remplir la même documentation que rempliraient des équipes professionnelles afin de mieux les préparer pour leur carrière future. C’est aussi une bonne opportunité pour eux de pouvoir réaliser leur thèse de bachelier, de master ou de doctorat sur le sujet de cette expérience.

Article de :

  • Halim BENNADJA, chef de projet à l’Association Odyssée Céleste
  • Date de réalisation : 13 septembre 2023
  • Copyright images: Association Odyssée Céleste / ESA / Space Connection /Air ZERO G /  Photo de M. Jean-Pierre Bibring : espace des sciences /wikipedia/ Photo de Javier Ventura, Credits: Faro de Vigo

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Natacha Callens, ESA Academy Engagement Programme Administrator de l’Agence spatiale européenne (ESA).