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Mustapha Meftah – Astrophysicien au LATMOS

par | Mai 12, 2023 | Climat, Interviews / Podcasts | 0 commentaires

L’interview de Mustapha Meftah, astrophysicien au sein du Laboratoire Atmosphères, Milieux, Observations Spatiales – LATMOS. Responsable de la filière nanosatellites et coordinateur des missions UVSQ-SAT et INSPIRE-SAT 7.

« Montrer que l’espace et les satellites peuvent répondre à cet enjeu, peuvent nous permettre d’observer l’ensemble des variables climatiques essentielles dont le nombre est de 52 ! Sachant que plus de la moitié des variables climatiques essentielles ne peuvent être observées que depuis l’espace ! »

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Qu’est-ce qu’un CubeSat ?

 

« Les CubeSats sont des petits satellites qui orbitent autour de la Terre. Comme leur nom l’indique, ils ont la forme d’un cube d’environ 10 cm de côté et pèsent seulement 1,5 kg, juste assez grand pour tenir dans une main et donner un accès à l’espace. Imaginez à la fin des années 1990, le concept du CubeSat, s’est largement répandu. Depuis, il est notamment utilisé par les chercheurs du LATMOS pour répondre à des questions clé scientifiques avec notamment la mission UVSQ-SAT. Ce qui est pratique, avec ces petits satellites, c’est qu’ils peuvent être développés rapidement, ils se combinent les uns avec les autres comme des briques de Lego : par 2 comme INSPIRE-SAT7, par 3 comme Eye-SAT ou même par 6 comme la future mission UVSQ-SAT NG. Ce sont des outils très pratiques, car ils se construisent et se testent simplement avec des pièces faciles à trouver. Certains CubeSats nécessitent néanmoins la mise en œuvre de systèmes complexes, propres aux axes de recherche développés dans les laboratoires. Toutes les faces d’un CubeSat sont généralement recouvertes de cellules solaires pour disposer de suffisamment d’énergie électrique en orbite, car ces satellites fonctionnent avec peu d’énergie. Ils disposent des mêmes fonctionnalités que les gros satellites :

– ils sont équipés d’antennes pour communiquer avec les stations au sol et réceptionner les données.

– ils utilisent très souvent des fréquences radioamateurs.

La conception de ces satellites est donc plus accessible et permet aux étudiants, aux laboratoires de recherche français ou à des petites structures industrielles de lancer leur propre mission d’observation de la Terre et d’exploration de l’univers. Les CubeSats occupent peu d’espace, ils sont donc souvent lancés par grappe d’une dizaine voire d’une trentaine et partage parfois le lanceur (Ex : Ariane 5) avec de gros satellites commerciaux profitant ainsi du vol en permettant un accès à l’espace facile et peu coûteux. »

 

UVSQ-SAT

 

« UVSQ-SAT est un satellite qui a été mis en orbite le 24 janvier 2021 depuis la Floride, aux États-Unis. C’est un petit satellite dont la durée de vie initiale devait être d’une année. Vous pouvez remarquer que nous sommes à plus de deux ans déjà au niveau des technologies développées, c’est donc un grand succès ! Différents objectifs pour UVSQ-SAT : un objectif pédagogique, un objectif technologique et un objectif scientifique. Le premier, c’est un objectif pédagogique parce qu’on cherche justement à former les jeunes vis-à-vis des technologies spatiales au travers d’applications concrètes. Nous avons des objectifs technologiques, cela nous permet de tester de nouvelles technologies, de nouveaux dispositifs. Puis l’objectif scientifique, l’idée, c’est de savoir comment on peut utiliser ces petits satellites pour pouvoir mettre en œuvre des constellations de satellites pour répondre à des questions clé. La question clé, pour moi, c’est l’étude du bilan radiatif de la Terre ! Le bilan radiatif de la Terre, c’est le paramètre le plus important, c’est plus important que de faire un suivi de la température de la planète parce que cela nous donne un effet direct des interactions dans l’atmosphère. Pour pouvoir réaliser cette observation, il nous faut justement des satellites, car ces mesures sont faites au sommet de l’atmosphère. Ce qu’il y a d’intéressant avec les petits satellites, c’est qu’on peut envisager de les mettre en constellation et ainsi de faire un suivi en temps réel. Mais ils nous permettent aussi d’avoir une très bonne résolution spatiale ! La question fondamentale, c’est comment on utilise ces petits satellites pour avoir une observation avec une excellente résolution spatiale ? »

INSPIRE-SAT 7

 

« Inspire-Sat7 est un satellite qui a été mis en orbite, le 15 avril 2023, depuis la base militaire de Vandenberg, Vandenberg Space Force, en Californie. Que fait ce satellite ? Premièrement, il va réaliser les mêmes observations qu’UVSQ-SAT. On va à nouveau, s’intéresser au bilan radiatif de la Terre et on aura donc deux satellites en orbite qui vont être positionnés à des heures locales différentes. Cela va nous permettre d’améliorer notre compréhension vis-à-vis des observations pour pouvoir envisager quelle va être la meilleure constellation de satellites pour pouvoir répondre à ce besoin. L’objectif principal d’Inspire-Sat7, c’est de consolider les mesures d’UVSQ-SAT et donc améliorer les technologies. Je peux vous dire déjà que nous avons de meilleurs résultats ! C’est beaucoup plus précis, c’est déjà une très bonne nouvelle, après une quinzaine ou une vingtaine de jours en orbite. On va aussi s’intéresser à la mise en œuvre d’un nouveau module qui est développé avec l’ONERA qui est une carte qui permet de faire une étude de l’ionosphère, une des couches de l’atmosphère. Ce module a déjà été testé avec succès, j’en profite pour féliciter mes collègues de l’ONERA vu que cette carte électronique fonctionne très très bien ! »

L’association Odyssée Céleste s’efforce généreusement depuis de nombreuses années à réaliser des interviews avec des personnalités d’exceptions du monde scientifique (professeurs-chercheurs émérites, inventeurs hors pair.) et de l’industrie afin de favoriser leurs visibilités auprès du public français. Pourquoi ? Pour mettre en exergue les différentes possibilités de participer aux grands projets scientifiques et industriels auxquels la France et les français contribuent. Favoriser l’instauration de bons repères, de bonnes connexions auxquelles des jeunes pourront s’identifier et transmettre les bonnes informations afin de se projeter socialement et professionnellement en bonne intelligence. Chaque personne interviewée représente l’écho d’un centre de recherche, d’une institution gouvernementale, d’une école d’ingénieur, et de vécus personnels. « Vivre vaut la peine si l’on peut contribuer d’une petite manière à cette chaîne sans fin de progrès humain. » Paul Dirac, Mathématicien, Physicien, Scientifique (1902 – 1984).

 

Le livre: « L’espace et le Newspace au service du climat »

 

« Oui, pour moi l’idée, c’était de partir d’un constat et de savoir que l’enjeu fondamental du 21e siècle, c’est la problématique du réchauffement climatique. L’idée, c’était de savoir : comment on pouvait essayer d’utiliser nos forces pour répondre justement à cette problématique ? Dit autrement, de trouver des solutions ! Premièrement, c’est d’observer ce qui se passe, deuxièmement de comprendre, troisièmement d’agir ! Et enfin évidemment, mettre en œuvre des propositions d’atténuation. Montrer que l’espace et les satellites peuvent répondre à cet enjeu, peuvent nous permettre d’observer l’ensemble des variables climatiques essentielles dont le nombre est de 52 ! Sachant que plus de la moitié des variables climatiques essentielles ne peuvent être observées que depuis l’espace ! C’est un fait. Ce qui montre l’intérêt fondamental du spatial, vis-à-vis de l’observation de la Terre. L’autre paramètre qui est aussi important, c’est que l’on a vu émerger de nouveaux acteurs, que l’on appelle les acteurs du NewSpace. C’est un phénomène qui a commencé depuis un moment aux États-Unis, certains sont célèbres comme Elon Musk, Jeff Bezos ou encore Richard Branson dans un autre registre. J’ai essayé de réfléchir à « quels étaient réellement leurs objectifs ?». D’une certaine manière, c’est aussi une alerte vis-à-vis de leurs visions de l’espace qui peuvent-être différentes de celles des scientifiques. Pour moi ce qui est fondamental, c’est de pouvoir maintenir une institutionnalisation par le haut, c’est-à-dire que c’est l’institution à un moment qui doit orienter les choix vis-à-vis de la stratégie d’observation et pas d’une certaine manière l’industrie ou le monde privé parce qu’à un moment, il peut y avoir des conflits d’intérêts. Si on regarde de près, c’est ce que j’explique dans le livre, on voit clairement que la vision des acteurs majeurs du NewSpace, est orientée conquête spatiale. Si je prends l’exemple d’Elon Musk, il a été marqué par les livres d’Isaac Asimov, notamment Fondation. Oui, c’est un passionné de l’espace, mais par contre sa vision peut être dangereuse. On s’interroge donc à savoir si vraiment on a plus d’autres solutions. Oui, il faut tout faire pour essayer de trouver une solution pour se diriger vers mars, mais, aujourd’hui, il n’y a pas de plan B ! La priorité, c’est la planète Terre ! Pareil dans un autre registre, quand on regarde de plus près ce qu’expliquait Jeff Bezos, qui a été formé à Princeton, et dont l’un de ses enseignants a écrit un livre sur l’utilisation de l’espace et ses grosses stations spatiales, où il est expliqué que cela serait intéressant de mettre les humains dans de grosses stations spatiales. Ce qui y est écrit, c’est quand
même inquiétant ! Pour faire simple, que la Terre deviendra un grand parc national comme le Yellowstone. C’est donc inquiétant d’entendre des personnes dire que l’on va vivre dans l’espace et puis que l’on reviendra sur la planète Terre comme dans un parc national. C’est une interrogation, un questionnement par rapport à ce qui est mis en place.»

 

Jeunesse, ayez à l’esprit les premiers vols en aéronautique !

 

« L’exploration de l’univers et au-delà de l’espace, c’est très important parce que cela nous permet de comprendre nos origines, de savoir d’où l’on vient et c’est fondamental ! Cette quête de recherche fait partie de la vie. Je peux vous donner de multiples exemples. On a vu depuis les débuts de l’humanité que l’Homme a en permanence essayé de découvrir de nouveaux mondes et de s’échapper de la Terre. Vous avez la mythologie grecque avec Icare et Dédale, mais aussi l’aventure d’Abbas ibn Firnas (810-887); un Berbère qui vivait en Andalousie aux alentours de l’an 800. Il a fait une expérience du vol en s’équipant de plumes d’oiseaux, il s’est élevé d’un minaret depuis Cordoue, ville d’Espagne. Il a volé une certaine distance, mais il a oublié une chose : l’atterrissage. Ce qui montre encore une fois l’exemple de l’intérêt du retour par l’expérience ! À l’atterrissage, il s’est fait très mal au dos et a compris que l’oiseau avait une queue qui lui permettait d’atterrir. Ensuite, on a vu l’envol des frères Wright (1902). Pour moi, ce qui est passionnant, c’est le premier homme dans l’espace, Youri Gagarine, un Soviétique, et les premiers pas de l’Homme sur la Lune: c’est ce qui doit être montré aux jeunes pour leur montrer cette envie, cette volonté justement d’aller au-delà. Mais aussi le courage qu’il faut pour y arriver, ces différents personnages ont pris des risques ! C’est un petit message que j’envoie aux jeunes. Le dernier point c’est de leur dire que les technologies spatiales finalement, c’est simple. Ce qui est important ce n’est pas forcément d’avoir une grande maîtrise des outils mathématiques, mais c’est la compréhension et le sens qui sont importants, c’est vraiment de comprendre les choses et de leur donner un sens, un sens physique, un sens réel !»

 

 

Article de :

  • Halim BENNADJA, chef de projet à l’Association Odyssée Céleste
  • Montage et réalisation de l’interview: Halim Bennadja, Responsable Association Odyssée Céleste
  • Copyright images Odyssée Céleste/ LATMOS / UVSQ-SAT

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Mustapha Meftah, astrophysicien au LATMOS