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Loïc GRARD, Professeur de Droit aérien

par | Oct 17, 2023 | Environnement, Interviews / Podcasts | 0 commentaires

« Croyez en vos rêves ! Il y a plein d’exemples de réussites dans la société. »

 

Loïc GRARD, Professeur de droit public depuis 1994, Loïc GRARD enseigne le droit de la concurrence, le droit aérien et le droit de l’Union européenne, Il a dirigé le Centre universitaire d’Agen. Il a été vice président en charge de la recherche de l’Université Bordeaux IV. Il assure la direction du collège Droit Science politique Économie Gestion de l’Université de Bordeaux depuis 2014. Il a dirigé 26 thèses. Ses publications récentes portent sur le droit des transports, les drones et les régions ultrapériphériques. © Portail universitaire du droit

«D’abord, il faut revenir sur la définition de la souveraineté. Le problème, c’est que ce mot « souveraineté » aujourd’hui, on l’utilise à tort et à travers, il est parfaitement galvaudé. Je ne connais qu’une seule définition, c’est la définition des juristes allemands, c’est-à-dire qu’est-ce que la souveraineté ? Celui qui est souverain, c’est celui qui a la compétence pour définir ce qui relève de ses compétences. En clair, qui a la compétence originaire . À partir de là, je reviens à Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) : le souverain, c’est moi, c’est vous, nous sommes souverains, nous avons la compétence de la compétence et nous avons décidé par le contrat social de remettre à l’État cette compétence. C’est cela la souveraineté, fondamentalement. Donc, qu’est-ce qu’une souveraineté industrielle ? C’est avoir la compétence de définir les choix qu’on souhaite faire pour développer sa propre industrie.»

 

 

L’interview d’exception de Loïc GRARD.

 

En vidéo sur Youtube :

En podcast :

 

Parcours

C’est une époque où on ne se posait pas trop de questions. Il y a un concours qui s’appelle le concours d’agrégation pour devenir professeur d’université, concours difficile parce qu’il y en a un tous les 2 ans et il y a 20 postes tous les 2 ans, ce qui fait qu’on recrute en France actuellement, et à l’époque encore moins, on recrutait une dizaine de professeurs par an en moyenne. C’est un concours vers lequel on se dirigeait sans se poser de questions, avec un peu d’inconscience, mais toujours du sérieux. Cela s’est bien passé, je l’ai eu, je me suis retrouvé professeur à 28 ans ce qui était à l’époque extrêmement jeune; ce qui m’a donné ensuite la possibilité de travailler dans des horizons extrêmement diversifiés, à Bordeaux bien sûr, mais aussi un peu partout en Europe, et même au-delà. Au fil des conférences, des congrès, des expertises, on m’a sollicité de plus en plus sur l’aviation, sur l’Europe, sur la concurrence et puis après l’aviation sur le maritime. Après le maritime, sur le ferroviaire et puis le ferroviaire, c’est une industrie de réseau, donc on m’a sollicité sur l’énergie. J’ai travaillé sur l’énergie, mais en travaillant sur l’énergie, j’ai travaillé sur les carburants et en travaillant sur les carburants, je suis revenu aux avions donc vous voyez, tout cela se fait très naturellement et très spontanément, en fait.

 

Rencontre particulière

 

Jean-Claude Gautron Professeur émérite, Droit public.

La rencontre particulière, c’est le directeur de thèse, inévitablement. J’ai eu de la chance, j’ai choisi le bon directeur de thèse qui a été parfait de bout en bout, c’est le professeur Jean-Claude Gautron, qui est aujourd’hui à la retraite, mais toujours actif du fond de sa retraite. C’est une collaboration sur 4 ans qui a été stimulante intellectuellement et puis quand il m’a dit : « Ok, on fait une thèse sur l’Europe, l’aviation, la concurrence, le marché ! » Il m’a dit : « On fait la thèse. De toute façon, soit vous devenez professeur d’université, soit vous travaillerez dans le milieu de l’aviation. De toute façon vous travaillerez ». Ce qui était vrai, que dans le fond,  je suis devenu professeur d’université et j’ai eu la chance,  comment dirais-je, que cela n’a jamais été mon objectif principal mais de manière occasionnelle, de travailler avec les milieux de l’aviation.

 

 

 

 

Dans le droit français, qu’est-ce que la souveraineté industrielle ?

D’abord, il faut revenir sur la définition de la souveraineté. Le problème, c’est que ce mot « souveraineté » aujourd’hui, on l’utilise à tort et à travers, il est parfaitement galvaudé. Je ne connais qu’une seule définition, c’est la définition des juristes allemands, c’est-à-dire qu’est-ce que la souveraineté ? Celui qui est souverain, c’est celui qui a la compétence pour définir ce qui relève de ses compétences. En clair, qui a la compétence originaire. À partir de là, je reviens à Jean-Jacques Rousseau : “le souverain, c’est moi, c’est vous, nous sommes souverains, nous avons la compétence de la compétence et nous avons décidé par le contrat social de remettre à l’Etat cette compétence” (Du contrat social, 1762). C’est cela la souveraineté, fondamentalement. Donc, qu’est-ce qu’une souveraineté industrielle ? C’est avoir la compétence de définir les choix qu’on souhaite faire pour développer sa propre industrie. Aujourd’hui, évidemment le grand débat, c’est que notamment le Président Emmanuel Macron a mis cela en avant, la souveraineté de l’Union européenne, la souveraineté économique, faire un Airbus des batteries… Que sais-je encore ? Pour une souveraineté européenne, le contrat social français, la souveraineté française ne suffit pas. Il faut un contrat social européen et qu’on remette à l’Union européenne cette capacité d’avoir un développement industriel plus proche de ses besoins et créer à chaque fois que c’est possible des situations de moindre dépendance par rapport à des facteurs de production extérieur. Cela, j’entends bien, il n’y a pas de problème là-dessus. Mais enfin, les faits sont têtus! Il y a une vague qui fait que depuis 50 ans, les t-shirts et les chemises et les accords multifibres, on les fabrique au Maroc et en Chine, et on les fabrique de moins en moins en Europe, enfin, je dis le Maroc et la Chine, il y a beaucoup d’autres exemples. Mais c’est un fait, il y a une vague, il faut faire avec la vague. Donc vouloir là aussi, idéologiquement, ramener sur le territoire européen des choses qui sont perdues depuis bien longtemps, les ramener pour des considérations uniquement idéologiques, c‘est stupide. Si, en revanche, il y a des considérations qui démontrent qu’aujourd’hui, il est objectivement et raisonnablement intéressant de reprendre, parce qu’il y a des raisons objectives liées à la technologie, liées à l’innovation, liées à la compétitivité, de reprendre des choses au niveau européen, sur le territoire européen, cela, je l’entends. Mais si c’est reprendre pour reprendre parce qu’on ne veut plus être exclusivement dépendant de l’extérieur… Vous voyez, là aussi, c’est une question de nuance et c’est une question d’approche qui, évidemment, ne doit pas être idéologique, mais doit être pragmatique.

 

Le Juriste face à la problématique de l’environnement et des émissions carbone

 

 

C’est le sujet d’actualité, je suis très sollicité depuis 10 ans à peu près sur ces questions d’empreinte écologique de l’aviation civile. Je travaille sur l’aviation civile, très peu sur l’aviation militaire. Vous savez, quand j’ai commencé ma carrière, même quand j’ai fait ma thèse, j’interrogeais les professionnels de l’aviation et je leur disais à l’époque, un peu timidement, “est-ce qu’il y a un problème d’environnement avec l’aviation ?” À l’époque, de manière unanime, on me disait : « Non l’avion ça ne pollue pas, l’avion, c’est propre ! Le poids lourd, c’est terrible ! » On me disait “les navires oh là, là, les navires, les tankers épouvantables, l’Amoco Cadiz, le Torrey Canyon…” J’avais le droit à tout, mais on m’expliquait, les décideurs publics, les professionnels : « Non, non, c’est une mauvaise idée, ça ne pollue pas ! » Ce qui veut dire que dans les universités, on avait quand même une longueur d’avance sans être des techniciens pour dire “attention, il y a peut-être un problème entre le climat et l’aviation”. Aujourd’hui, on est tombé dans l’excès contraire, où c’est le procès permanent de l’aviation, où on dit “c’est épouvantable”. Il faut moins voyager, on arrive à des situations où des jeunes actifs brillants se refusent à prendre l’avion et pour moi, tout ça, dans le premier cas comme dans le deuxième cas, c’est, comment dirais-je, c’est ce qui me frappe, c’est l’absence de nuance !

Ce que je plaide, c’est évidemment la nuance. Oui, l’avion pollue, oui, l’aviation, aujourd’hui, est à l’origine de 2 % des émissions de CO2. Personne ne le conteste, mais cela signifie que l’aviation n’émet pas 98 % du CO2 aussi ! Ce qui veut dire qu’on ne résoudra pas le problème des changements climatiques avec, je dirais, le traitement par la réduction des vols des seuls avions. Qu’il faut une croissance raisonnable, ça, je suis tout à fait d’accord, mais j’ai envie de dire qu’il ne faut pas être déraisonnable dans la décroissance de l’aviation non plus. C’est pour cela que sur l’aviation, les juristes sont présents pour accompagner les ingénieurs, les chercheurs. Aujourd’hui, il y a beaucoup de recherches sur les carburants alternatifs, il y a beaucoup de recherches sur des trajectoires plus intelligentes et donc, le juriste, il est là évidemment pour favoriser et encadrer, environner les initiatives qui permettront finalement de ne pas freiner la mobilité, parce que l’humain a besoin de bouger. Parce que pour vivre bien sur cette planète ensemble, il faut se connaître et pour se connaître, il faut se voir et pour se voir, il faut se rencontrer. La visio, ça ne fait pas tout. Aujourd’hui, nous sommes en visio parce qu’on ne pouvait pas faire autrement, mais il est très clair qu’une interview comme aujourd’hui entre vous et moi, ça serait beaucoup plus agréable physiquement de se connaître, de se serrer la main. Et l’aviation est quand même un formidable outil de rapprochement, c’est un outil qui crée du lien social, qui permet de favoriser ce lien social à l’échelle d’une planète et qui est de plus en plus peuplée. Donc, oui, maîtriser la croissance de l’aviation, mais dans le respect de la préservation du climat et de notre planète ! Cependant, cela ne veut pas dire qu’il faille se priver, qu’il faille créer un problème social sous couvert de régler un problème environnemental, vous comprenez ? Je suis évidemment parfaitement hostile à toute démarche idéologique de ce point de vue.

 

Article de :

  • Halim BENNADJA, chef de projet à l’Association Odyssée Céleste
  • Date de réalisation : 03 octobre 2023
  • Copyright : Association Odyssée Céleste/ blogdroiteuropeen/ Université de bordeaux – BitConseil-Benoit Huguet/ Wikipedia – photos bateaux : les navires, les tankers, l’Amoco Cadiz, le Torrey Canyon, Wikimedia/Wikipedia: Jean-Jacques-Rousseau – contrat social

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Loïc GRARD, Professeur de Droit public, Droit de la concurrence, Droit aérien et Droit de l’Union européenne