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Julie Lespagnol – Trophées des femmes de l’industrie / Femme d’innovation 2024 – France

par | Sep 19, 2024 | Interviews / Podcasts, Retrouvez toutes nos actualités | 0 commentaires

« Croyez en vos rêves ! Il y a plein d’exemples de réussites dans la société»

Julie Lespagnol.  A la suite d’un diplôme à l’ESTACA, l’école supérieure des techniques aéronautiques et de construction automobile, elle construit sa carrière en sport automobile sur des championnats internationaux. Une carrière qui la mènera jusqu’au poste d’Ingénieur en Chef pour le premier véhicule électrique de compétition pour Hyundai Motorsport GmbH. A la recherche d’un nouveau challenge international, elle choisit l’exploration spatiale comme prochaine étape. Elle se lance alors dans un changement de carrière en intégrant le Master Spécialisé de l’International Space University (ISU) parmi 40 étudiants venus du monde entier. Elle rejoindra ensuite les équipes de Airbus Defence & Space à Stevenage (Angleterre).

 

Julie Lespagnol

« Aujourd’hui, le monde du spatial est en forte évolution avec beaucoup de compétitivité.

Pour cela, ces grands groupes doivent se recentrer sur leurs experts.

Ce sont eux qui ont l’expertise et les clés de demain pour placer l’Europe au cœur du secteur spatial.

Nous avons tout ce qu’il faut en Europe, nous devons juste donner la parole à nos acteurs de la technologie et leur donner les moyens.

Nous avons un écosystème unique, il est important

de rappeler que l’Agence Spatiale Européenne (ESA) est présente dans tous les domaines scientifiques. »

 

Chaque année, L’Usine Nouvelle participe à la valorisation de l’excellence de quelques femmes dans un domaine professionnel particulier. Dans ce cadre, 30 profils bénéficient d’un prix, réparti en 11 catégories. Parmi elles, il y a “FEMME D’INNOVATION”, attribué à une femme à l’origine d’une innovation qui modifie pleinement les pratiques d’un secteur. 

 

 

Qu’avez-vous ressenti lors de votre nomination en tant que « Femme d’innovation » ?

 

Une grande fierté !  J’avoue que j’ai tendance a toujours regarder en avant et à ne pas regarder tout le chemin parcouru jusqu’ici. Pour une fois, la réception de cette nouvelle m’a apporté une autre dimension sur le travail accompli ces dernières années. C’est une reconnaissance de mon travail mais aussi une opportunité de partager à un plus grand nombre mon parcours et participer à un nouvel élan au sein des femmes françaises.

 

Quels projets souhaiteriez-vous développer ?

 

Les crises que nous vivons en France et en Europe fragilisent le rapport au collectif, qui favorise considérablement la perte d’un idéal commun, autant entre les entreprises qu’en leur sein. Mais surtout, la concrétisation de grands projets technologiques, à l’image du Concorde (1976-2003), à été l’écho d’une véritable grande rupture technologique que la France n’a plus jamais connue. Certes, la dynamique actuelle des startups semble être un effort intéressant, non négligeable et intelligent, mais reste actuellement trop faible du fait de son développement trop récent et des financements complexes à obtenir.

André Turcat(1921-2016), pilote d’essai du Concorde, avec Halim Bennadja(Médiateur scientifique) à la suite de nombreuses présentations du Concorde et de la mise en marche des turboréacteurs (Rolls-Royce/Snecma Olympus 593) au Mussée de l’Air et de l’Espace (Bourget).

Ce qui m’a frappé dans ce domaine, c’est de voir à quel point les grands groupes sont sclérosés. Basées sur des organisations matricielles très verticales, ils deviennent des systèmes avec beaucoup d’inertie et qui malheureusement réduisent les liens humains et l’implication des employés. De ce fait, on se retrouve alors avec une capacité d’innovation très réduite. Néanmoins, j’ai rencontré des experts passionnés ayant travaillé sur des missions dans l’exploration spatiale pour aider la communauté scientifique à comprendre l’histoire de notre Univers. Ces échanges ont été une grande source d’inspiration pour comprendre comment je pouvais les mettre en valeur.

Vos réactions

Ma première réaction a été de participer aux projets R&D. A ma grande déception, j’ai découvert que les sujets financés en interne étaient les premiers impactés au niveau du budget, et ce dès le milieu de l’année. Je vous laisse imaginer la frustration des gens avant moi qui ont beaucoup investis de leur temps sur de nombreux sujets et se sont retrouvés à devoir tout abandonner.

D’un autre côté, il y a des sujets R&D qui ne seront pas implémentés parce qu’ils n’ont pas été demandés par le client. J’ai donc décidé de m’attaquer à une stratégie plus globale en particulier sur les sujets de robotique planétaire pour commencer.

Étant un sujet très local à Stevenage, il est plus facile d’échanger avec les équipes et de comprendre également les problématiques de terrain. Après des mois d’échanges avec les acteurs d’ExoMars ou de Sample Fetch Rover et les membres du département futurs programmes, je leur ai récemment proposé une stratégie répondant à une vision à long terme pour les environnements lunaires et permettant d’inclure des innovations techniques tout au long des différentes missions en suivant la méthode Kaizen* afin de mieux maîtriser les coûts et les plannings. Le sujet est actuellement en discussion, je continue à collecter des feedbacks. Au fur et à mesure, les gens participent et cela donne une tout autre couleur comparé au document initial. La richesse de ces entreprises réside dans leurs collaborateurs, qui apporteront les solutions de demain. C’est pour cela que j’ai envie de participer, en favorisant l’émergence de ces idées et leur mise en œuvre dans le temps.

*la méthode Kaizen permet d’apporter un changement positif et progressif dans une entreprise.

 

Trophées des Femmes de l'industrie 2024 - Femme d'inovation

L’innovation de Julie Lespagnol est d’ouvrir les champs des possibles au-delà des cases de la société

 

Stratégies de développement de nos industries Française et Européenne

 

« Le meilleur moment pour planter un arbre, c’était il y a 20 ans. Le deuxième meilleur moment c’est maintenant. »

Proverbe chinois

 

Depuis que j’ai rejoint le spatial, j’ai pu constater des différences avec le milieu du sport automobile d’où je viens. Dans le sport automobile, la cohésion de groupe et le travail d’équipe orienté autour d’un objectif commun sont essentiels pour la réussite. Nous sommes sur des boucles de développement bien plus courtes avec des résultats à chaque course qui sont aussi une forte source d’énergie pour l’équipe. Dans un grand groupe du spatial, on ne retrouve pas tous ces aspects-là. Il y’a un gros manque de coordination et d’échange entre les branches. On est dans un système de hiérarchisation verticale qui casse beaucoup de dynamique et encourage peu les échanges entre les domaines d’expertises. Je me suis moi-même heurtée à ces difficultés rien que pour échanger sur des idées et trouver les bonnes personnes. C’est un sentiment de frustration très intense, je n’ai jamais vu ce type de comportement en sport automobile.

Actuellement, il faut savoir que les projets de demain sont discutés au sein d’un premier département alors qu’une fois que les projets sont implantés, ils sont réalisés par une autre branche liée aux domaines de l’ingénierie. Au cours de mes investigations, j’ai été surprise de découvrir la pauvreté des interactions entre ces deux départements. J’ai également noté une absence de vision pour les sujets d’explorations spatiales. Alors que ces équipes sont largement  en capacité d’adopter une attitude proactive et de proposer des solutions pour les futures missions auprès des clients.

Aujourd’hui, le monde du spatial est en forte évolution avec beaucoup de compétitivité. Pour cela, ces grands groupes doivent se recentrer sur leurs experts. Ce sont eux qui ont l’expertise et les clés de demain pour placer l’Europe au cœur du secteur spatial.  Nous avons tout ce qu’il faut en Europe, nous devons juste donner la parole à nos acteurs de la technologie et  leur donner les moyens. Nous avons un écosystème unique, il est important de rappeler que l’Agence Spatiale Européenne (ESA) est présente dans tous les domaines scientifiques.

Nota bene : Depuis les années 1970, nous assistons à une désindustrialisation de la France.

L’ Allemagne est le pays qui s’en sort le mieux, dans l’Union Européenne, malgré une chute durant la crise de 2007-2008.

Les États-Unis consacrent approximativement 47 milliards de dollars à leur politique spatiale. Pour la Chine, c’est moins de 10 milliards de dollars. La France, quant à elle, consacre un peu moins de 3 milliards d’euros,

ce qui correspond à 0,1 % de son PIB.

 

 

Êtes-vous ouverte à d’autres opportunités professionnelles ?

 

J’apprécie beaucoup l’environnement international. J’ai eu la chance d’évoluer dans ce milieu en sport automobile et j’ai pu voir naître de belles choses entre les cultures et les différentes approches. Je pensais encore récemment bouger aux

États-Unis, faire un PhD afin de pouvoir enfin relever un défi technique à la hauteur de mes attentes. Mais j’ai envie de croire en l’Europe. Alors avant de traverser l’Atlantique, je veux tenter de faire ce que je peux ici.

 

Conseils afin de faciliter la visibilité professionnelle des femmes

 

Depuis de nombreuses années, nous valorisons à notre échelle associative française des profils hors pairs : Françaises, Européennes, Maghrébines et Américaines, symboles de notre conscience, et de notre observation de femmes scientifiques exceptionnelles. Ces pionnières ont toujours œuvré sur de grands projets à l’échelle internationale. Mais en tant que Français, on se rend rapidement compte que ces véritables modèles, qu’il ne faut absolument pas séparer des hommes, sont difficilement accessibles pour toutes les personnes, femmes ou hommes, qui peuvent s’identifier à elles; se construire via leur réussite humaine et professionnelle et ainsi participer humainement à la dynamique sociale et professionnelle française.

 

La visibilité de ces profils est l’affaire de tous. Grâce à vos interviews, je découvre des personnalités du monde spatial dont je ne soupçonnais pas l’existence. La prochaine étape pour moi serait de rendre ces personnes accessibles, si elles le souhaitent, afin d’encourager les échanges.

Nous avons trop tendance à penser que cette visibilité doit passer par des trophées, alors que celle-ci devrait inviter à des interactions lors de ces événements.  Ces interactions sont enrichissantes aussi bien pour la future génération de femmes scientifiques que pour moi-même. Chaque année, environ une quinzaine d’étudiantes me contactent. C’est un moment d’échange, de point de vue entre générations et de conseils. J’apprécie beaucoup d’accompagner les étudiants dans la suite de leur carrière.

Dans le cadre de mes interventions dans les universités, les entreprises, j’encourage les étudiants à interagir directement avec les professionnelles afin d’avoir une vraie connaissance du terrain. Aujourd’hui encore, pour évoluer dans ma carrière, je continue à contacter différents experts à travers le monde afin de découvrir leur parcours, leur milieu et leur approche.

Les astrophysiciens nous rappellent que plus de 60 %  des étoiles de notre galaxie sont des étoiles doubles (binaires). Il y a d’autres systèmes avec 3, 4 et même 8 étoiles. Mais il s’agit de systèmes très instables qui finissent par se stabiliser en éjectant progressivement une ou plusieurs étoiles. Le couple d’étoiles est le système le plus stable de l’univers, avec la diversité de familles auxquelles elles appartiennent (géante rouge, étoile à neutrons, géante bleue). Or, notre modernité a tendance à briser le couple/ la stabilité !

 

Si vous souhaitez en savoir un peu plus sur le parcours de Julie Lespagnol, interviewée en novembre 2023 😉 :

 

Nous vous recommandons l’écoute de quelques femmes qui témoignent de l’extraordinaire richesse humaine et scientifique Française, Européenne,…:

…Docteures, Académiciennes, inventrices…

 

Article de :

 

 

Bon à Savoir

 
Trophée des Femmes de l’Industrie – FEMME D’INNOVATION

L’innovation de Julie Lespagnol est d’ouvrir les champs des possibles au-delà des cases de la société .