« Aujourd’hui, les activités spatiales sont entrées dans une nouvelle ère, qui est plus commerciale, qui est l’ère de l’exploitation. On évoque le GPS, on évoque l’observation de la Terre, la radio, la télévision par satellite, la téléphonie par satellite. Bref, on est entré dans une nouvelle étape. L’espace n’est pas seulement un objet d’exploration scientifique, c’est aussi, de plus en plus, une affaire d’exploitation commerciale de nos satellites. Cette exploitation commerciale est sur une très grande échelle puisque, aujourd’hui, une grande partie de nos activités économiques dépendent de l’espace. »
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La Chaire Sirius
La Chaire Sirius, c’est une initiative très originale qui a été créée il y a 10 ans, en 2013, à l’initiative de trois acteurs majeurs du secteur spatial mondial qui sont le Centre National d’Études Spatiales, le CNES, et deux opérateurs : Airbus Defense, qui est l’opérateur spatial du groupe Airbus, et puis Thales Alenia Space. Ces trois opérateurs m’ont fait confiance et ont souhaité que je m’associe à une équipe de recherche émergente au sein d’une grande école toulousaine, TBS (Toulouse Business School). Nous avons commencé à fonctionner en travaillant davantage sur les aspects liés aux entreprises du secteur spatial que sur les grandes questions juridiques internationales qui prévalaient jusqu’alors, c’est-à-dire tout ce qui touche aux traités internationaux.
Rappel historique du droit spatial
Le droit spatial s’est construit en 1967 et dans les années suivantes sur cinq grands traités internationaux. Ces derniers concernent essentiellement l’exploration et accessoirement l’utilisation de ce que l’on appelle dans le jargon des traités les corps célestes, y compris la Lune. Le principal de ces 5 grands traités – dont le traité qui a été conclu en 1967 et qui est toujours en vigueur – est d’une grande actualité, parce qu’au lieu de mettre en place des dispositions très prescriptives, très normatives, les auteurs de ce traité ont voulu construire un certain nombre de principes d’applications générales concernant l’exploration et l’utilisation, “l’exploitation de l’espace”, dit-on aujourd’hui, et dont le principe est très simple. Il repose sur quelques mécanismes fondamentaux : d’abord, la sanctuarisation de l’espace, c’est-à-dire que l’on considère que l’espace n’appartient à personne; il est le patrimoine commun de l’humanité. Dans la version anglaise, on parle de province de l’humanité toute entière. Dans la version française, on dit que c’est un apanage (au sens médiéval du terme) de l’humanité toute entière, donc personne n’est propriétaire. Tout le monde a accès à l’espace ou doit pouvoir avoir accès à ses bénéfices. Puis on a posé le principe de la responsabilité des États, c’est-à-dire que comme l’espace n’appartient à personne, la responsabilité imminente pèse sur les États qui doivent organiser les conditions d’accès à l’espace selon des principes qui sont prévus dans le traité.
Ce qui a permis et permet l’évolution du droit spatial
Trois choses importantes. D’abord, l’évolution des techniques. Nous venons de vivre plusieurs révolutions importantes dans le secteur spatial. D’une manière générale, dans le domaine des technologies, nous en vivons encore avec l’intelligence artificielle et sans doute va-t-on vers des modifications encore plus importantes. Cette révolution technique, c’est un premier facteur très important. Ensuite, il y a la révolution économique, c’est-à-dire que la révolution technique entraîne généralement une transformation de l’écosystème, notamment de l’écosystème industriel. C’est la raison pour laquelle on a vu arriver des entrants de jeunes pousses qui rentraient dans le secteur spatial et qui continuent de rentrer. Nous avons beaucoup de start-up dans ce secteur d’activité, ce qui est un indice très favorable. Enfin, le troisième facteur important, c’est l’évolution de la société. C’est, au fond, l’appropriation par la société des retombées de l’espace, comme le fait que le GPS soit devenu une composante essentielle de la conduite automobile. Aujourd’hui, plus personne n’imagine conduire un véhicule sans avoir les moyens de connecter son téléphone mobile, soit un système GPS intégré au véhicule. Au fond, on ne peut plus se diriger dans une ville, que l’on conduise ou pas, sans son téléphone mobile et sans un système qui permet le repérage. Même chose en matière de météorologie : plus personne n’imagine que l’on ne puisse pas anticiper l’évolution du temps, interroger son téléphone, suivre les programmes de météo à la télévision. On ne comprendrait pas que le journal télévisé du soir ne soit pas précédé d’une émission météo, émission météo qui n’est possible que parce que les satellites sont là. Je pourrais multiplier les exemples et montrer comment et pourquoi le secteur spatial est en train de devenir un élément essentiel de nos vies quotidiennes. Ainsi, la propriété par la société de tous ces usages est un indice évidemment tout à fait déterminant. Vous le voyez, l’évolution de la technique, de l’économie et de la société elle-même sont des facteurs déterminants.
3 termes clé pour comprendre le droit spatial aujourd’hui
Je vais choisir trois mots qui me semblent résumer ce qui se passe actuellement. D’abord, le premier mot, c’est exploitation. Aujourd’hui, les activités spatiales sont entrées dans une nouvelle ère, qui est plus commerciale, qui est l’ère de l’exploitation. On évoque le GPS, on évoque l’observation de la Terre, la radio, la télévision par satellite, la téléphonie par satellite. Bref, on est entré dans une nouvelle étape. L’espace n’est pas seulement un objet d’exploration scientifique, c’est aussi, de plus en plus, une affaire d’exploitation commerciale de nos satellites. Cette exploitation commerciale est sur une très grande échelle puisque, aujourd’hui, une grande partie de nos activités économiques dépendent de l’espace. L’ESA (l’Agence Spatiale Européenne), a voulu, à un moment donné, montrer l’importance de l’espace en provoquant un événement majeur qui aurait été l’extinction de tous les satellites en fonctionnement. Elle en a été empêchée. Elle s’est bien gardée de le faire parce que la catastrophe qui aurait été produite de fugues, seulement pendant deux ou trois minutes, aurait été terrible. Ce sont des feux de la circulation qui n’auraient pas pu fonctionner, donc des accidents qui auraient été provoqués, ce sont des conducteurs qui seraient retrouvés au bord de lacs ou de précipices parce qu’ils auraient perdu le lien GPS. Enfin bref, on peut imaginer ce qui se serait produit si on avait éteint tous ces satellites. L’exploitation est donc un mot-clé, et il faut comprendre que l’espace est un objet d’exploration fondamentalement, et qu’il le restera. On fait beaucoup d’expériences très importantes dans le domaine spatial, y compris pour des choses très quotidiennes.
Article de :
- Halim BENNADJA, chef de projet à l’Association Odyssée Céleste
- Montage Vidéo/Podcast : Halim Bennadja
- Copyright: Association Odyssée Céleste/ Chaire Sirius
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Lucien Rapp, Directeur scientifique de la Chaire SIRIUS